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Note de synthèse

Juin 2002

Dossier thématique : Agenda Post-Doha
Le Programme de travail de Doha : Le Mémorandum d’accord sur le règlement des différends de l’OMC



Introduction
Innovations du Mémorandum d’accord
Problèmes, améliorations et clarifications possibles
Nouvelles questions éventuelles
Conséquences pour les pays moins favorisés
Conclusion



I. Introduction

« Nous convenons de négociations sur les améliorations et clarifications à apporter au Mémorandum d’accord sur le règlement des différends. Les négociations devraient être fondées sur les travaux effectués jusqu’ici ainsi que sur toutes propositions additionnelles des Membres, et viser à convenir d’améliorations et de clarifications au plus tard en mai 2003, date à laquelle nous prendrons des mesures pour faire en sorte que les résultats entrent en vigueur ensuite dès que possible. » [ Note 1]

2. Ce paragraphe comporte plusieurs éléments importants. Il reconnaît premièrement qu’il est nécessaire d’apporter à la fois des améliorations et des clarifications au Mémorandum d’accord. Deuxièmement, il prévoit pour ce faire la tenue de négociations s’appuyant sur les travaux effectués, ainsi que sur de nouvelles propositions. Troisièmement, il fixe ce qui semble être une date butoir, mai 2003, pour achever les négociations sur la réforme du Mémorandum d’accord. Quatrièmement, il ne contient aucune garantie que les améliorations et clarifications entreront en vigueur avant la fin des négociations (la dernière phrase du paragraphe 30 laisse la possibilité d’appliquer à la réforme du Mémorandum d’accord le principe de l’ « engagement unique », consistant à accepter l’ensemble des résultats des négociations, ce qui ne permet pas de choisir à son gré quels accords signer). Toutefois, le paragraphe 47 de la Déclaration ministérielle offre la possibilité d’effectuer la réforme du Mémorandum d’accord en dehors de l’engagement unique.

3. La présente note de synthèse décrit brièvement les innovations du Mémorandum d’accord [Note 2]. Les problèmes que pose le Mémorandum sont examinés, de même que les améliorations possibles. Enfin sont abordées les conséquences du programme de réforme pour les membres de l’OMC, en particulier les pays les moins favorisés (PMF).

II. Innovations du Mémorandum d’accord

4. Le 1er janvier 1995, l’Accord sur l’OMC est entré en vigueur. Tout en conservant certaines caractéristiques du système de règlement des différends du GATT [Note 3], le Mécanisme de règlement des différends de l’OMC a été conçu de façon à combler certaines lacunes graves du système du GATT, notamment des retards inutiles dans le processus de règlement des différends, des problèmes liés à l’adoption et la mise en œuvre par consensus des rapports des groupes spéciaux ainsi que le recours, par conséquent, à des mesures commerciales unilatérales lorsque le consensus n’était pas obtenu.

5. Afin de remédier à ces défaillances, le mécanisme de règlement des différends a apporté plusieurs innovations importantes :

i.  un système de plus en plus juridique, répondant à des règles précises et imposant des délais à la fois plus stricts et plus courts ;
ii. la création d’une procédure d’appel et d’un Organe d’appel permanent, composé de sept membres, investis d’une responsabilité considérable ;
iii. l’application d’un système de « consensus inverse », de sorte que le consensus est nécessaire pour bloquer l’adoption d’un rapport de groupe spécial ou de l’Organe d’appel [Note 4] ; et
iv. la création d’un mécanisme d’application viable destiné à encourager la mise en œuvre des rapports de règlement des différends adoptés.

6. Malgré le succès du Mémorandum d’accord, certains problèmes sont apparus. Ci-après sont exposés les points qui pourraient être abordés au titre du paragraphe 30 de la Déclaration de Doha.

III. Problèmes, améliorations et clarifications possibles

7. Membres permanents de groupes spéciaux : Le succès d’un Organe d’appel permanent composé de sept membres permanents a eu une influence importante sur le point de vue de certains membres de l’OMC, en particulier l’Union européenne. Celle-ci a proposé la création d’une liste de membres permanents de groupes spéciaux, à partir de laquelle seraient constitués les groupes chargés d’examiner les différends en première instance. Selon l’UE, les membres permanents de groupes spéciaux seraient facilement disponibles ; ils apporteraient non seulement une plus grande compétence mais aussi une plus grande indépendance à la première étape de la procédure de règlement des différends. Certains membres ont également trouvé cette idée intéressante, étant donné que l’Organe d’appel a plusieurs fois critiqué les travaux de groupes spéciaux, ce à quoi s’ajoutent les critiques formulées par la « société civile » concernant des décisions de groupes spéciaux de l’OMC [Note 5]. Des membres permanents de groupes spéciaux seraient peut-être plus spécialisés dans l’interprétation et l’application des accords visés que des personnes choisies selon le système actuel de désignation ad hoc. S’il est vrai que la constitution de groupes spéciaux à partir d’une liste de membres permanents pourrait apporter davantage de compétences dans le système de règlement des différends, on peut craindre qu’un tel système n’isole encore plus l’OMC des événements extérieurs.

8. Renvoi : L’Organe d’appel peut « confirmer, modifier ou infirmer les constatations et conclusions juridiques » d’un groupe spécial [Note 6 ]. Lorsqu’un groupe spécial n’a pas fait certaines constatations de fait, il est possible que l’Organe d’appel ne puisse pas trancher [Note 7]. Accorder à l’Organe d’appel le pouvoir de renvoi,  qui permettrait de renvoyer l’affaire au groupe spécial pour que celui-ci effectue d’autres constatations de fait, faciliterait le « règlement satisfaisant » de certains différends commerciaux [Note 8]. Bien que certains membres estiment que cela ralentirait la procédure, d’autres font valoir que cela permettrait de résoudre des différends lorsque l’Organe d’appel ne dispose pas d’éléments factuels suffisants. Avec ce pouvoir de renvoi, il serait également plus difficile pour l’Organe d’appel d’éviter de résoudre un différend difficile ou épineux en s’appuyant sur l’insuffisance alléguée des constatations de fait dans le dossier [Note 9 ].

9. Augmentation de la taille de l’Organe d’appel : L’Organe d’appel est composé de sept membres. Bien qu’ils examinent ensemble les différends, selon le système de la « collégialité », seuls trois d’entre eux composent officiellement la « division » qui traite un différend en particulier. En ajoutant deux autres membres, il serait possible de constituer trois divisions complètes fonctionnant en permanence, et de répartir de façon plus satisfaisante le travail, dans un système souvent surchargé. La Thaïlande a proposé d’ajouter deux à quatre membres à l’Organe d’appel, afin qu’il puisse absorber plus efficacement sa charge de travail [Note 10].

10. Pouvoirs de l’Organe d’appel : Les pays en développement ont à plusieurs reprises critiqué l’Organe d’appel pour avoir accru ou diminué les droits et obligations découlant des accords visés, en violation des dispositions des articles 3:2 et 19:2 du Mémorandum d’accord [Note 11 ]. Cela soulève de délicates questions quant à ce que l’Organe d’appel peut ou devrait faire pour combler les lacunes du Mémorandum d’accord, par exemple en ce qui concerne les problèmes de la charge de la preuve et de l’acceptation des communications d’amicus curiae. Cela montre également quel est le poids relatif de l’Organe d’appel par rapport aux membres, lorsqu’il ne parvient à aucun consensus sur une question épineuse. Il est probable que l’Organe d’appel continue de combler ces lacunes et de se prononcer sur des questions difficiles, avec pour seules restrictions des considérations politiques liées au mécontentement éventuel des membres.

11. Communications d’amicus curiae : À l’OMC, les communications d’amicus curiae sont des mémoires présentés par des particuliers ou des organismes (« non-membres de l’OMC »), en particulier des organisations non gouvernementales (ONG), qui sont destinés à fournir des indications aux groupes spéciaux et à l’Organe d’appel.  Bien que les communications d’amicus ne soient mentionnées ni dans le Mémorandum d’accord, ni dans les procédures de travail, l’Organe d’appel a décidé que les groupes spéciaux et l’Organe d’appel avaient le droit, mais non l’obligation, de recevoir de telles communications [Note 12]. Cette question a suscité une grande controverse. Par exemple, dans l’affaire de l’amiante [Note 13], l’Organe d’appel a élaboré une procédure de travail concernant la communication de mémoires d’amicus curiae, valable uniquement pour cet appel, qui a été publiée sur le site Internet de l’OMC et communiquée aux ONG dans le monde entier. Lorsque les membres ont appris que l’Organe d’appel avait fait en sorte de faciliter la présentation de mémoires d’amicus curiae, une réunion extraordinaire du Conseil général a été convoquée. Au cours de cette réunion, l’Organe d’appel a été vigoureusement critiqué, notamment par les pays en développement membres. En raison peut-être de ces critiques, l’Organe d’appel a rejeté tous les mémoires présentés en qualité d’amicus, en arguant qu’ils n’étaient pas conformes à la procédure de travail promulguée. Cela confirme que la prise de décisions par l’Organe d’appel peut être influencée par des considérations d’ordre politique.

12. Chronologie : La création de règles destinées à permettre un règlement plus rapide des différends commerciaux a été une réalisation importante du Cycle d’Uruguay. Ces règles restent empreintes d’une certaine ambiguïté, comme l'a montré le désaccord entre l’UE et les Etats-Unis au sujet de la « chronologie ». Comme son nom l’indique, ce désaccord concerne l’ordre dans lequel deux dispositions du Mémorandum d’accord, les articles 21:5 et 22:6, devraient s’appliquer. L’article 21:5 prévoit une procédure de 90 jours afin de déterminer si une mesure prise par une partie pour se conformer aux recommandations et décisions d’un groupe spécial ou de l’Organe d’appel sont compatibles avec l’Accord sur l’OMC. L’article 22:6 dispose que l’ORD doit accorder l’autorisation de suspendre des concessions dans un délai de 30 jours à compter de l’expiration du délai raisonnable, à moins qu’il ne décide par consensus de rejeter la demande. Comme l’a fait observer l’Organe d’appel, « les termes des articles 21:5 et 22 ne sont pas un ‘modèle de clart钠… » [Note 14]. L’UE soutient que si la partie perdante prend des mesures pour mettre en œuvre les recommandations de l’ORD, une constatation de non-conformité conformément à l’article 21:5 doit être effectuée avant que ne soit autorisé le recours au mécanisme d’application de l’article 22 [Note 15]. Ainsi, l’UE estime qu’il faut appliquer l’article 21:5 avant de pouvoir avoir recours à l’article 22 [Note 16], alors que les Etats-Unis font valoir le droit d’appliquer directement l’article 22, dans certaines circonstances, évitant ainsi, selon eux, des retards inutiles avant d’appliquer des mesures d'exécution. Cette question a été abordée dans le cadre de plusieurs décisions de règlement des différends [Note 17 ]. La pratique récente, y compris dans l’affaire États-Unis - FSC [Note 18], suggère que l’on s’oriente vers l’acceptation du recours à l’article 21:5 en premier, d’où l’hypothèse selon laquelle cette question pourrait être résolue dans le cadre des prochaines négociations. Le 21 mai 2002, quinze membres de l’OMC, y compris de nombreux pays en développement, ont présenté à la Session extraordinaire de l’Organe de règlement des différends un document proposant une solution au problème de la chronologie [Note 19]. Ces membres ont suggéré de modifier l’article 21 afin de créer un « groupe spécial de la mise en conformité » chargé de connaître des différends concernant les mesures prises pour appliquer une recommandation ou une décision et leur conformité avec l’Accord sur l’OMC. Ce groupe travaillerait rapidement et serait constitué des membres du groupe spécial initial, dans la mesure où ceux-ci seraient disponibles. L’autorisation de suspendre les concessions ne pourrait être demandée qu’une fois que le rapport du groupe spécial de la mise en conformité aurait été distribué aux membres. Il serait possible de faire appel de ce rapport et la procédure énoncée à l’article 17 du Mémorandum d’accord s’appliquerait.

13. Rétorsion croisée : Le mécanisme d’application du Mémorandum d’accord (article 22) n’a pas permis d’obtenir que les parties perdantes se mettent en conformité avec les accords visés, que ce soit dans le différend des bananes ou dans celui des hormones. Ce mécanisme présente d’autres points faibles. Ses mesures correctives les plus importantes, la rétorsion et la rétorsion croisée (ou, en des termes plus appropriés, la suspension de concessions) sont non seulement peu susceptibles d’être bénéfique au secteur industriel touché par une mesure commerciale illégale, mais peuvent aussi avoir des conséquences négatives à la fois pour les consommateurs dans le pays ayant eu gain de cause, en raison de l’augmentation des prix des produits visés par les accroissements tarifaires punitifs, et pour les industries utilisant des produits importés visés par les augmentations tarifaires. Cela provoque une distorsion accrue du système commercial. Dans la mesure où ce mécanisme d’application punit consommateurs et importateurs et qu’il est peu utile pour remédier aux dommages subis par les branches de production en raison de violations des règles de l’OMC, une réforme pourrait se justifier. Les membres n’ont accordé que peu d’attention à cette question.

14. Carrousel : Il arrive parfois que des membres préfèrent subir la suspension de concessions (suppression d’un traitement tarifaire ou réglementaire préférentiel), plutôt que de devoir lever une mesure commerciale illégale. Cela s’est déjà produit dans les différends sur les hormones et sur les bananes. Le mécanisme d’application est donc peut-être insuffisant, mais cela traduit également une réalité politique où les intérêts nationaux sont trop importants pour prendre le risque de changer la politique commerciale. Les États-Unis ont demandé de renforcer le mécanisme d’application en préconisant le « carrousel », un mécanisme consistant à procéder à une rotation des concessions suspendues entre les différentes industries de façon à exercer constamment une pression économique sur les membres qui n’ont pas mis leur politique commerciale en conformité avec leurs obligations au titre de l’OMC. La théorie sous-jacente est la suivante : la suspension de concessions perd de l’efficacité avec le temps puisque les secteurs industriels étrangers concernés s’adaptent en trouvant de nouveaux marchés. Les États-Unis considèrent que la « rotation » des suspensions de concessions (le « carrousel ») est un moyen de maintenir la pression sur un partenaire commercial pour que celui-ci mette la mesure commerciale illégale en conformité avec ses obligations dans le cadre de l’OMC. Plusieurs membres, en particulier l’UE, s’opposent à cette idée. Avant la Conférence ministérielle de Doha, la Thaïlande et les Philippines avaient estimé que les concessions suspendues par une partie plaignante devraient se limiter à celles figurant dans la liste établie par l’arbitre et que cette liste ne devrait pas être modifiée, sauf accord mutuel entre les parties au différend [Note 20 ]. De même, l’UE, dans une proposition très complète présentée en mars 2002, réaffirme sa conviction selon laquelle tout amendement du Mémorandum d’accord devrait traiter la question du « carrousel » [Note 21].  Les États-Unis ayant perdu dans l’affaire des FSC, on peut se demander s'ils changeront d’attitude en la matière [Note 22 ].

IV. Nouvelles questions éventuelles

15. La précédente section de ce document abordait certains problèmes connus que pose le système de règlement des différends. Toutefois, le mandat du paragraphe 30 est très large, puisqu’il dispose que « Les négociations devraient être fondées sur les travaux effectués jusqu’ici ainsi que sur toutes propositions additionnelles des Membres… ». Cela signifie que les négociations sur le Mémorandum d’accord sont ouvertes et qu’il est possible d’examiner de nouvelles questions. Certaines des idées exprimées ci-après finiront peut-être par figurer sur le programme de Doha concernant le règlement des différends.  

16. Pouvoirs d’appel plus larges : L’impossibilité de faire appel de certaines constatations arbitrales peut constituer un domaine de réforme éventuelle. Le 24 mars par exemple, dans la décision arbitrale du Groupe spécial sur les bananes, il a été estimé que les pertes subies par l’Équateur (annulation ou réduction d'avantages) en raison de la politique communautaire concernant les bananes se montaient à 201,6 millions de dollars. L’Équateur a par conséquent été autorisé à suspendre des concessions portant sur les droits de propriété intellectuelle de l’UE, dans la mesure où le montant de l'annulation ou de la réduction d'avantages ne pouvait être compensé par la suspension de concessions accordées dans le cadre du GATT de 1994 et de l’AGCS.  Cette menace de rétorsion croisée, et les efforts de règlement qui ont inévitablement suivi, ont envoyé un message clair à l’UE, qui tire des avantages considérables de l’Accord sur les ADPIC. Des questions se sont également posées quant à la nécessité de mettre en place des modalités de réexamen des constatations arbitrales. Toutefois, un examen du « niveau d’application » risque de causer des retards supplémentaires et ne semble pas recueillir l’appui des membres.

17. Automaticité : La possibilité pour la partie perdante de bloquer les rapports des groupes spéciaux était le principal point faible du système de règlement des différends dans le cadre du GATT. Certains membres ont cependant indiqué que l'automaticité pourrait aller trop loin dans l'autre sens, avec pour risque que l'ORD devienne un simple organe d’entérinement, approuvant d’office les décisions des groupes spéciaux et de l'Organe d'appel [Note 23]. Bien que le système de « consensus inverse », c'est-à-dire l'impossibilité de bloquer une décision, sauf par consensus, ait mis l'UE dans une position difficile dans les différends sur les hormones et sur les bananes, ainsi que les États-Unis dans les affaires des crevettes/tortues et des FSC, on peut se demander si la solution ne consisterait pas à s'éloigner de l'automaticité (en s'orientant peut-être vers un système de consensus moins un) ou bien à renforcer le rôle des membres de l'ORD (en encourageant peut-être le recours à des « interprétations faisant autorité » des accords visés) [Note 24]. L'une ou l'autre de ces formules pourrait renforcer la position de l'ORD, en permettant aux membres d'examiner de façon plus approfondie les décisions de l'Organe d'appel et en donnant plus de possibilités de modifier une décision avec laquelle les membres ne sont pas d'accord.

18. Questions éthiques / confidentialité : La décision d'accepter des conseils privés dans le cadre des procédures de groupes spéciaux et de l'Organe d'appel a été accueillie de façon positive par les pays en développement membres - cela leur a permis de participer avec plus de succès aux différends les opposant à des pays plus riches qui ont depuis longtemps des juristes dans leurs délégations gouvernementales. Toutefois, cela a également soulevé des questions quant à la nécessité d'instaurer des règles éthiques applicables aux praticiens du droit commercial. Il n'existe en effet pas de règles éthiques internationales régissant les conseils privés impliqués dans les travaux de l'OMC. Ceux-ci ne sont liés que par le règlement de leur association locale du barreau, ce qui suggère la nécessité d'un système harmonisé de règles internationales relatives à la confidentialité, aux conflits d'intérêts et à la respectabilité. Cela semble d'autant plus important que de nombreux conseils privés impliqués dans des différends à l'OMC jouissent de relations privilégiées avec le personnel du Secrétariat de l'OMC et les diplomates en poste à Genève. Des questions éthiques sont déjà survenues, par exemple dans l'affaire des poutres en H [Note 25]. Un cabinet d'avocats de Washington représentant un membre a été soupçonné d'avoir divulgué une communication confidentielle à une association commerciale, qu'il représentait aussi, et qui avait un intérêt dans cette même affaire. Ce cabinet d'avocats s'est retiré de la procédure.

19. Transparence et renforcement des capacités : L'intérêt accru du grand public pour l'OMC, la surveillance des décisions prises par l’organisation et la controverse relative à la mondialisation signifient qu'une plus grande transparence (c'est-à-dire en l'occurrence une plus grande ouverture de l'OMC au public) est peut-être inévitable. Les membres rendent de plus en plus publiques leurs communications juridiques à l'OMC et informent leurs citoyens au sujet des prises de décisions à l'OMC. Par le biais du Secrétariat de l'OMC, ils s'efforcent également d'accroître la transparence des prises de décisions et du règlement des différends en élargissant l'accès du grand public aux documents de l'OMC. La transparence, sans le renforcement des capacités, pourrait cependant avoir des conséquences politiques négatives. L'avenir politique de l'OMC, sa croissance, son succès et sa légitimité sont liés à l'amélioration, à tous les niveaux de la société, de la compréhension du rôle économique et politique important que joue cette organisation. Une solution pourrait consister à relier transparence et renforcement des capacités. Si l'on veut encourager les gouvernements de pays en développement à rendre leur politique commerciale plus transparente, ceux-ci voudront peut-être obtenir en contrepartie des concessions commerciales supplémentaires ou un appui des pays développés membres en faveur du renforcement des capacités et de l'assistance technique, par exemple.

20. Problèmes de participation : Il convient d'établir une distinction entre les problèmes de transparence (exposés ci-dessus) et les problèmes de « participation ». Ceux-ci ont trait au droit de la société civile (par exemple, les ONG et associations commerciales) à participer aux réunions de l'OMC et/ou à présenter des communications écrites ou orales aux comités et organes de règlement des différends de l'OMC. Certains membres de la « société civile » souhaitent que soient accrus les droits des ONG et des acteurs du secteur privé. Actuellement, les membres sont peu favorables à une telle réforme. Cela signifie que les ONG et les acteurs du secteur privé continueront d'agir en coulisses, par le truchement des délégations commerciales, des organisations internationales et des États ayant le statut d'observateur à l'OMC, ou par la présentation de communications d'amicus. Ils poursuivront en outre leur action en d'autres lieux, dans les publications spécialisées, et dans la presse. Malgré le manque d'appui parmi les membres de l'OMC pour une telle réforme, les questions de participation pourraient quand même être soulevées, pour des raisons stratégiques ou politiques.

V. Conséquences pour les pays moins favorisés

21. Conséquences stratégiques : Les incidences de la réforme du Mémorandum d’accord pour les PMF dépendront de leur capacité à faire connaître leur position et à obtenir des concessions en retour. Il serait erroné de considérer la réforme du Mémorandum d’accord comme étant isolée du reste du Programme de Doha. Il est peu probable que les PMF soient disposés à faire d’importantes concessions en ce qui concerne la réforme du Mémorandum d’accord, ou la réforme en général, sans chercher à obtenir en retour quelque chose dans d’autres domaines de négociation. Il est par conséquent peu probable aussi que la réforme du Mémorandum d’accord soit effectuée, jusqu’à ce que les négociations ne soient achevées pour l’ensemble de Programme de travail de Doha.

22. Conséquences directes et indirectes : Les PMF ont, jusqu’à présent, joué un rôle principalement indirect dans le règlement des différends. Ils n’ont que rarement comparu dans des procédures de règlement des différends, mais ont été affectés par le résultat de ces procédures (par exemple dans l’affaire des bananes). La réforme du Mémorandum d’accord aura pour ces pays des conséquences, mais  les négociations portant sur d’autres accords (textiles et agriculture, par exemple) resteront sans doute plus importantes. Toutefois, à mesure que les PMF se développeront et qu’ils participeront plus activement au commerce international ainsi qu’au système de règlement des différends, les incidences directes du Mémorandum d’accord augmenteront. Le recours de plus en plus fréquent de l’Inde et d’autres pays en développement au règlement des différents en est la preuve. Il est donc dans l’intérêt à long terme de tous les membres de l’OMC de suivre la réforme du Mémorandum et de participer aux négociations.

23. Services juridiques fournis aux pays en développement : Le succès des PMF dans les négociations sur le Mémorandum d’accord pourrait dépendre de l’assistance technique qui leur sera fournie, ainsi que de leur aptitude à renforcer leurs capacités nationales au fur et à mesure du déroulement des négociations. S’ils parviennent à renforcer ces capacités pendant les négociations générales, et qu’ils bénéficient de services juridiques à des tarifs préférentiels [Note 26], ils pourraient être en mesure de négocier un meilleur résultat en ce qui concerne à la fois la réforme du Mémorandum d’accord et d’autres domaines. Les PMF pourraient donc envisager de plaider en faveur de l’accroissement de l’assistance technique fournie par le Secrétariat de l’OMC et d’autres organisations basées à Genève. Toutefois, ces services ne sauraient se substituer au renforcement des capacités nationales.

24. Traitement spécial et différencié : Plusieurs dispositions du Mémorandum d’accord prévoient le traitement spécial et différencié [Note 27]. Conformément au paragraphe 44 de la Déclaration ministérielle, toutes les dispositions relatives au traitement spécial et différencié doivent être « réexaminées en vue de les renforcer et de les rendre plus précises, plus effectives et plus opérationnelles ». Les propositions d’amendement des dispositions du Mémorandum d’accord sont notamment les suivantes : (a) remplacer « should » par « shall » (devrai[en]t  par doi[ven]t) dans les articles 4:10 et 21:2, ce qui obligerait les membres à accorder une attention particulière aux problèmes et aux intérêts des pays en développement durant les consultations ainsi qu’en ce qui concerne les mesures prises par ces pays et qui font l’objet d’un différend ; (b) reformuler l’article 12:10 de sorte que lorsque des consultations concernent une mesure prise par un pays en développement, le Président de l’ORD puisse prolonger le délai imparti pour les consultations de 15 jours en cas d’urgence et de 30 jours dans des circonstances normales ; et (c) donner aux pays en développement qui défendent une mesure commerciale plus de temps pour présenter leurs communications écrites. Les possibilités de conséquences négatives seront limitées si les PMF œuvrent ensemble pour renforcer les dispositions relatives au traitement spécial et différencié dans le Mémorandum d’accord et dans l’ensemble de l’Accord sur l’OMC.

VI. Conclusion

25. De façon surprenante, le Mémorandum d’accord sur le règlement des différends s’est révélé être un succès mais cela ne signifie pas qu’aucun changement n’interviendra. Le système commercial international, y compris le système de règlement des différends, est dynamique et, par conséquent, en évolution. On peut cependant s’interroger quant à la façon dont devrait s’effectuer cette évolution ou cette réforme. Les différends commerciaux sources de divisions politiques et sociales sont de plus en plus souvent résolus par les groupes spéciaux et l’Organe d’appel de l’OMC, plutôt que par des négociateurs commerciaux. Étant donné qu’il existe peu de règles régissant les procédures d’appel, l’Organe d’appel se voit contraint de combler de nombreuses lacunes, soit par le biais de ses procédures de travail, soit par ses décisions. À cet égard, les décisions comblant de telles lacunes ont été controversées et ont parfois donné jour à de nouvelles lacunes devant être comblées à leur tour. Cela comporte des risques, tant pour l’OMC que pour son système de règlement des différends. Les décisions difficiles en matière de politique commerciale, y compris la réforme du Mémorandum d’accord sur le règlement des différends, auront une plus grande légitimité si elles sont prises par consensus par les membres de l’OMC, et non pas par les groupes spéciaux ou l’Organe d’appel.



Note 1 : Déclaration ministérielle adoptée le 14 novembre 2001, document de l’OMC WT/MIN(01)/DEC/1. (retour texte)

Note 2 : Le Mémorandum d’accord sur le règlement des différends, les Procédures de travail pour l’examen en appel, ainsi que les rapports des groupes spéciaux et de l’Organe d’appel peuvent être consultés sur le site Internet de l’OMC à l’adresse suivante : www.wto.org. (retour texte)

Note 3 : Parmi les similarités figurent les aspects suivants : (1) seuls les « membres » peuvent être « parties » à un différend ; (2) seules les parties à un différend sont tenues par le résultat de celui-ci ; (3) la non-applicabilité du stare decisis (système courant en droit selon lequel les précédents ont force obligatoire) ; et (4) les membres peuvent être « tierces parties » à un différend et présenter des communications et interventions, mais le résultat n’a pour eux aucun caractère contraignant. (retour texte)

Note 4 : On parle d'« automaticité ». Il s'agit là d'une grande innovation puisque la partie perdante ne peut plus bloquer l’adoption d’un rapport. La question de la mise en œuvre est donc devenue plus importante. (retour texte)

Note 5 : Voir, par exemple, les décisions des groupes spéciaux dans les affaires États-Unis - Prohibition à l’importation de certaines crevettes et de certains produits à base de crevettes, WT/DS58; et Communautés européennes - Mesures affectant l’amiante et les produits en contenant, WT/DS135. (retour texte)

Note 6: Mémorandum d’accord, article 17:13. (retour texte)

Note 7 : Australie - Mesures visant les importations de saumon, WT/DS18AB/R (20 octobre 1998), paragraphe 241. (retour texte)  

Note 8 : Voir l’article 3:4 du Mémorandum d’accord. (retour texte)

Note 9 : Par exemple, Communautés européennes - Mesures affectant l’amiante et les produits en contenant, AB-2000-11, WT/DS135/AB/R, 12 mars 2001, paragraphes 59 à 83. L’Organe d’appel a évité de procéder à une analyse détaillée de l’Accord sur les obstacles techniques au commerce en raison d’une insuffisance alléguée des constatations de fait dans le dossier. (retour texte)

Note 10 : Proposition concernant le réexamen du Mémorandum d'accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends, Communication de la Thaïlande, TN/DS/W/2, 20 mars 2002. (retour texte)

Note 11 : Ce genre de critiques a été largement répandu dans les différends au sujet de mémoires d’amicus curiae dans les affaires suivantes : États-Unis - Prohibition à l’importation de certaines crevettes et de certains produits à base de crevettes, WT/DS58/AB/R, adopté le 6 novembre 1998 ; et Communautés européennes - Mesures affectant l’amiante et les produits en contenant, WT/DS135/AB/R 12 mars 2001. (retour texte)

Note 12 : Les groupes spéciaux et l’Organe d’appel ne sont pas tenus d’examiner les communications d’amicus, sauf lorsqu’elles font partie de la communication d’un membre. Voir États-Unis - Prohibition à l’importation de certaines crevettes et de certains produits à base de crevettes, WT/DS58/AB/R, adopté le 6 novembre 1998, paragraphe 83 ; Australie - Mesures visant les importations de saumon, Recours du Canada à l’article 21:5, WT/DS18/RW, adopté le 18 février 2000, paragraphes 7.8 et 7.9 (le Groupe spécial y déclare avoir été influencé par un mémoire d’amicus) ; et États-Unis - Imposition de droits compensateurs sur certains produits en acier au carbone, plomb et bismuth laminés à chaud originaires du Royaume-Uni, WT/DS138/AB/R, adopté le 7 juin 2000, paragraphes 36 à 42. (retour texte)

Note 13 : Communautés européennes - Mesures affectant l’amiante et les produits en contenant, AB-2000-11, WT/DS135/AB/R, 12 mars 2001, paragraphes 50 à 57. (retour texte)

Note 14 : États-Unis – Mesures à l’importation de certains produits en provenance des Communautés européennes, AB-2000-9, WT/DS165/AB/R, 10 janvier 2001, paragraphe 91. (retour texte)

Note 15 : Voir États-Unis – Articles 301 à310 de la Loi de 1974 sur le commerce extérieur (rapport du Groupe spécial) WT/DS152/R (adopté le 27 janvier 2000). (retour texte)

Note 16 : L’article 22 prévoit une procédure détaillée de « compensation et de suspension de concessions ». (retour texte)

Note 17 : États-Unis – Articles 301 à 310 de la Loi de 1974 sur le commerce extérieur (rapport du Groupe spécial), WT/DS152, adopté le  27 janvier 2000, paragraphes 7.149 à 7.169 ; Australie - Mesures visant les importations de saumon, Recours du Canada à l’article 21:5 (rapport du Groupe spécial), WT/DS18/RW, adopté le 20 mars 2000 ; et États-Unis – Mesures à l’importation de certains produits en provenance des Communautés européennes, rapport du Groupe spécial, WT/DS165/R (17 juillet 2000). (retour texte)

Note 18 : États-Unis – Traitement fiscal des « sociétés de vente à l’étranger », AB-1999-9, WT/DS/108, adopté le 29 janvier 2002 (article 21:5) et le 20 mars 2000 (rapport de l’Organe d’appel). (retour texte)

Note 19 : Sessions extraordinaires de l’ORD, Remédier au problème de « chronologie » posé par les articles 21:5 et 22 du Mémorandum d'accord sur le règlement des différends, JOB(02)/45 (31 mai 2002). (retour texte)

Note 20 : WT/MIN(01)/W/3, 9 octobre 2001. (retour texte)

Note 21 : TN/DS/W1, 13 mars 2002. (retour texte)

Note 22 : On peut soutenir que l’application unilatérale d’un système de type « carrousel » violerait les dispositions de l’article 23:1 du Mémorandum d’accord. Voir États-Unis – Mesures à l’importation de certains produits en provenance des Communautés européennes, WT/DS165/R, 17 juillet 2000. (retour texte)  

Note 23 : Les aspects négatifs de l’automaticité ont été soulevés devant l’ORD à plusieurs reprises. (retour texte)

Note 24 : L'article IX:2 de l'Accord de Marrakech instituant l'Organisation mondiale du commerce permet au Conseil général d'adopter une « interprétation » par vote des membres à une majorité des « trois quarts ». (retour texte)

Note 25 : Thaïlande – Droits antidumping sur les profilés en fer ou en aciers non alliés et les poutres en H en provenance de Pologne, AB-2000-12, WT/DS122/AB/R, 12 mars 2001, paragraphes 62 à 78. (retour texte)

Note 26 : Par exemple, le « Centre consultatif sur la législation de l’OMC », situé à Genève, est soutenu par certains pays développés et en développement et offre aux PMA des services juridiques à des tarifs préférentiels. Le Secrétariat de l’OMC comporte une division qui offre des conseils juridiques limités aux pays en développement, conformément aux dispositions de l’article 27:2 du Mémorandum d’accord sur le règlement des différends. En outre, plusieurs cabinets d’avocats ont accepté de mettre à titre gratuit 40 heures à disposition des pays en développement. (retour texte)

Note 27 : Les pays en développement, en particulier les pays les moins avancés, bénéficient d’un traitement spécial au titre des dispositions suivantes du Mémorandum d’accord : articles 3:12, 4:10, 8:10, 12:10, 12:11, 21:2, 21:7, 21:8, 24:1, 24:2, et 27:2. (retour texte)

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