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Introduction
Groupes, alliances et coalitions : du Cycle dUruguay à lOMC
Les pays dAmérique latine et des Caraïbes dans le GATT et le Cycle dUruguay
La participation à lOMC : convergence et divergence
LAccord de libre-échange nord-américain (ALENA)
Conclusion
I. Introduction
1. La participation des pays en développement aux travaux et aux négociations de lOrganisation mondiale du commerce (OMC) - et auparavant à lAccord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) - a constamment fait lobjet danalyses et de recherches [Note 1]. Il y a trois raisons à cela. Tout dabord, lOMC est la première institution multilatérale où les pays en développement peuvent promouvoir (et défendre) leurs intérêts en matière de commerce international. Deuxièmement, le nombre de pays en développement adhérant à cette organisation a continuellement augmenté. Ainsi, les pays en développement ont progressivement participé de manière plus active, non seulement aux travaux normaux de lOMC mais également aux négociations, comme le prouve le nombre de propositions qui ont été avancées lors de la préparation de la troisième Conférence ministérielle à Seattle en 1999. Troisièmement, « le poids et limportance grandissants des pays en développement dans le système commercial multilatéral » ne sont pas largement reconnus, cependant il a été admis que la Conférence de Seattle a échoué du fait que lordre du jour ne tenait pas compte de leurs intérêts [Note 2].
2. Cependant, lidée dune participation des pays en développement à lOMC en tant que groupe uni peut être trompeuse : ils sont loin de former un groupe homogène, bien quayant dimportants intérêts en commun dans de vastes domaines, tels que la réduction des crêtes tarifaires actuelles et qui perdurent, ainsi que la réduction de la progressivité des droits de douane. Cependant, ils nadoptent pas tous la même position concernant dautres questions telles quune libéralisation accrue du commerce des produits agricoles et des textiles, ou une libéralisation plus spécifique des biens tels que les produits tropicaux, le poisson et les produits de la pêche, le commerce de la chaussure et du cuir. Certains pays en développement ne considèrent même pas ces questions comme une priorité. En effet, léventail des sujets relatifs au commerce traités et négociés à lOMC va bien au-delà des problèmes daccès aux marchés. Il nest pas certain ni que les intérêts des pays en développement convergent, ni même que ces pays rencontrent les mêmes obstacles au commerce. Cest pourquoi il est utile de se concentrer sur une zone géographique particulière, et de procéder à une analyse davantage ciblée sur les modalités et lefficacité de cette participation.
3. Un autre facteur, bien quindirectement lié, souligne la pertinence dune étude de la participation des pays en développement à linstance commerciale multilatérale. Il sagit de la spectaculaire prolifération des accords commerciaux, des accords régionaux, des unions douanières et des accords bilatéraux, particulièrement au cours des dix dernières années, auxquels ont pris part des pays développés ainsi que des pays en développement. Lintensification des accords de libre-échange soulève de nombreuses questions dordre général quant à la coexistence du régionalisme et du multilatéralisme, et quant à lavenir de lOMC en tant que principal organe établissant les règles et en tant quinstitution pour les négociations commerciales multilatérales. Dans la mesure où les pays en développement sont les membres les plus nombreux de lOMC (et auparavant du GATT), il devient important de mesurer sils donnent la priorité aux accords multilatéraux ou aux accords régionaux. Il est de fait, par exemple, que les pays dAfrique, des Caraïbes et du Pacifique (pays ACP) ont privilégié les Conventions de Lomé avec l'UE (remplacées à présent par le nouvel Accord de partenariat ACP - CE, lAccord de Cotonou) sur les Accords de lOMC, ce qui a soulevé des questions importantes de compatibilité entre les accords spéciaux préférentiels et les règles de lOMC.
4. Lexemple de la participation de lAmérique latine et des Caraïbes au GATT et à lOMC en tant que groupe spécifique parmi les pays en voie de développement est assez significatif, et ce pour plusieurs raisons. Premièrement, bien que les intérêts des pays de cette région divergent à bien des égards (au niveau de leur orientation commerciale, de leur poids économique, et même de leur langue), ils partagent depuis peu une histoire commune. Ils ont effectivement tous vécu la crise de la dette des années 80 (appelée « la décennie perdue ») et après avoir suivi un modèle de substitution des importations, ils ont presque tous simultanément libéralisé leur commerce et ouvert leur économie, auparavant fermée. De même, la libéralisation du commerce est devenue un élément essentiel de leur politique économique, et ils ont adopté comme stratégie de « stabilisation » économique une approche orientée vers lexportation afin de surmonter la crise de la dette. Ainsi, pour la première fois, lAmérique latine a participé activement au GATT et au Cycle dUruguay. (Durán, 1994, 280-81). De plus, ce nest pas une coïncidence si le cycle de négociations commerciales multilatérales, aux objectifs des plus ambitieux, a été lancé dans ce pays dAmérique latine. Et cela grâce à lengagement et la personnalité du Ministre des Affaires étrangères de lépoque ayant présidé le Cycle dUruguay, Enrique Iglesias, aidé par la très grande expérience de lAmbassadeur de lUruguay à Genève, Julio Lacarte Muró.
5. Deuxièmement, cette récente histoire commune des pays dAmérique latine et des Caraïbes a donné naissance à de très nombreux accords commerciaux. Au terme du Cycle dUruguay, la Commission économique pour lAmérique latine et les Caraïbes (CEPALC) a introduit le concept de « régionalisme ouvert » [Note 3] afin dillustrer la tendance dune libéralisation unilatérale et dune intégration hémisphérique, tendance qui a rapidement pris de lenvergure parmi les pays dAmérique latine et des Caraïbes. Au niveau régional, lAssociation latino-américaine de libre-échange faisait montre depuis longtemps dune initiative dintégration. Au niveau sous-régional, des accords tels que le Marché commun du Sud (MERCOSUR), la Communauté des Caraïbes (CARICOM), la Communauté andine, et le Marché commun de lAmérique centrale ont été plus efficaces. On pourrait mentionner également lAccord de libre-échange nord-américain (ALENA), puisquil implique un pays dAmérique latine et deux membres de la Quad. Au niveau bilatéral, presque tous les pays hispanophones ont signé des accords bilatéraux de libre-échange ou impliquant une complémentarité économique ou un libre-échange et un échange préférentiel.
6. La « Zone de libre-échange des Amériques » (ZLEA) reste lune des initiatives les plus importantes au niveau de lintégration commerciale régionale. Les Chefs dEtat des 34 pays de lHémisphère ouest sont à lorigine de cet accord dont les négociations devraient se terminer dici 2005. Et, fait révélateur, la ZLEA compte parmi ses membres les partenaires commerciaux les plus importants de la région, à savoir les Etats-Unis et le Canada. En effet, Cuba, partie contractante fondatrice du GATT, ne fait pas partie de la ZLEA, alors que les Bahamas, qui ne sont pas membres de lOMC (et qui ne furent pas partie contractante du GATT), appartiennent à la ZLEA. Dans le sillage de la ZLEA, et sur initiative du Brésil, les dirigeants de douze pays dAmérique du Sud ont publié un communiqué au début du mois de septembre 2000 (le « Communiqué de Brasilia ») où ils sengageaient à fusionner deux des principaux accords commerciaux de lAmérique latine, à savoir le MERCOSUR et la Communauté andine.
7. Etant donné le nombre impressionnant daccords commerciaux dans la région, il devient particulièrement important dexaminer la participation de lAmérique latine et des Caraïbes à linstitution commerciale multilatérale par excellence, à savoir lOMC. A quel niveau se situent leurs intérêts commerciaux, au niveau régional ou multilatéral ? Quels sont les échanges entre les institutions multilatérales et régionales ? La tendance de la région est-elle au régionalisme ou au multilatéralisme ? Les pays de cette région partagent-ils les mêmes positions sur des questions-clé de lOMC, comme cela est le cas pour les accords régionaux ? Quels sont les mécanismes de coordination utilisés par la région ? Ont-ils été efficaces ? Existe-t-il des coalitions sous-régionales qui ont bien fonctionné ? Répondre à de telles questions soulèverait des problèmes dordre plus général telles que les leçons à tirer de lexpérience latino-américaine quant à linfluence que les pays en développement peuvent exercer sur les négociations commerciales multilatérales ; la coexistence des accords régionaux avec le système commercial multilatéral ; et limportance de lapprobation des règles commerciales multilatérales par les pays en développement. Nous en venons donc à nous poser la question, restée sans réponse, de savoir sil sera un jour possible de lancer un nouveau cycle de négociations commerciales multilatérales, et donc si le Cycle dUruguay a été le dernier du genre.
8. Le reste de cet article se divise de la manière suivante : la deuxième partie offre une vue densemble des diverses alliances et coalitions qui ont été actives par le passé, dans le cadre du GATT et de lOMC. La troisième partie décrit le contexte actuel de la participation de lAmérique latine et des Caraïbes à lOMC, en évaluant leur rôle dans les négociations au sein du GATT et du Cycle dUruguay. Il est important de distinguer les mécanismes utilisés à lépoque, notamment le système économique latino-américain (SELA), qui a contribué avec succès à la coordination et à léchange dinformations parmi les pays dAmérique latine et des Caraïbes.
9. La quatrième partie tente dexpliquer la convergence et la divergence des intérêts des pays dAmérique latine et des Caraïbes. De toute évidence, les pays sunissent lorsque leurs intérêts concordent, comme cela est le cas pour les membres latino-américains du Groupe de Cairns, qui prônent la libéralisation des échanges agricoles. A linverse, plusieurs pays dAmérique latine et des Caraïbes sont en désaccord, notamment dans le cas du différend concernant les bananes, qui est analysé plus tard dans larticle comme un exemple dintérêts commerciaux divergents entre différents pays de la région. De même, la participation des pays dAmérique latine et des Caraïbes à un cadre plus large de lOMC, à savoir le mécanisme de règlement des différends, où ils ont défendu leurs droits face aux pays développés et à dautres pays de la région, illustre bien limportance quaccordent ces pays à cette structure. On trouve certains exemples de convergence dintérêts en examinant la participation des pays dAmérique latine aux récentes négociations de lOMC, particulièrement lors de leur contribution à la troisième Conférence ministérielle à Seattle.
10. La cinquième partie tente danalyser la participation des pays dAmérique latine et des Caraïbes à linstance multilatérale et de la comparer à celle durant les négociations se déroulant dans le cadre de la ZLEA.
11. La sixième partie, en conclusion, souligne le fait que, même si les pays dAmérique latine et des Caraïbes ne se détournent pas de linstitution commerciale multilatérale quest lOMC, leurs priorités sont davantage dordre national. Cest pourquoi ils privilégient les accords commerciaux bilatéraux, sous-régionaux et, plus particulièrement, hémisphériques, plutôt que les règles multilatérales.
II. Groupes, alliances et coalitions : du Cycle dUruguay à lOMC
12. Il est dusage de faire référence au fait que lOMC est une organisation « conduite par ses membres ». Du fait de sa nature, sa structure et son fonctionnement, hérités de lépoque du GATT, et étant donné le fait quil sagit dune institution où se tiennent continuellement des négociations, il est dautant plus important que ses membres participent activement au développement dintérêts commerciaux nationaux. Concernant les négociations commerciales internationales, et plus particulièrement depuis le Cycle dUruguay, il est devenu monnaie courante de créer des groupes peu structurés et de former des coalitions en vue de défendre des intérêts communs. Ces coalitions ont été particulièrement présentes et influentes lors du Cycle dUruguay.13. A lOMC, des groupes informels sont créés pour échanger des informations et adopter des positions communes. Certains dentre eux sont basés sur une identité ou une proximité géographique ou « économique », comme par exemple le Groupe des pays dAmérique latine et des Caraïbes (GRULAC) composé de pays en voie de développement. Cependant, étant donné que leurs intérêts communs proviennent dune similitude géographique ou économique, les buts quils poursuivent se limitent souvent à des généralités, basées sur le plus petit dénominateur commun. Ces groupes ont tendance à être peu structurés et agissent rarement ensemble sur des questions concrètes. Une exception, toute relative, à cette tendance générale est la participation du GRULAC aux négociations du Cycle dUruguay. Lors de ce cycle, le GRULAC a été le groupe le plus cohérent parmi les groupes formés sur une base géographique, et sa participation collective en tant que groupe, ou par lintermédiaire des pays dAmérique latine membres du Groupe de Cairns, a été très remarquée lors du Cycle dUruguay.14. A cela sopposent dautres types dalliances créées par des pays liés par des structures plus formelles ou par des intérêts communs plus déterminés, qui tendent à être davantage efficaces. Citons par exemple les pays participant aux unions douanières, qui ont une base plus solide pour agir en commun. Lexemple type est lUnion européenne où les pays ont cédé leurs voix à lOMC (autrefois le GATT) à la Commission européenne. Dautres accords commerciaux régionaux, tels que le MERCOSUR ou lAssociation des Nations du Sud-Est asiatique (ANASE) coordonnent souvent leurs points de vue et parlent dune seule voix, mais ce ne sont pas leurs secrétariats qui présentent leurs positions (comme cela est le cas pour la Communauté européenne) et il est fréquent quils conservent leur propre identité nationale lorsquils exposent leurs opinions ou quils défendent leurs positions.15. Des groupes de pays se réunissent également autour dintérêts commerciaux particuliers. Lexemple le plus connu est la Quad, formée par les ministres du commerce des quatre entités commerciales les plus importantes, cest-à-dire le Canada, la Communauté européenne (représentée par sa Commission), le Japon et les Etats-Unis. Dautres groupes ont été mis en place pour débattre de causes ou de questions plus précises, dont certains, formés à lépoque du GATT, sont encore actifs et ont prouvé lefficacité dune approche collective lors des négociations. Le meilleur exemple est le Groupe de Cairns, composé de pays exportateurs de produits agricoles qui font pression pour libéraliser le commerce dans ce secteur. Dans un contexte dexamen de la participation latino-américaine au GATT / OMC, il convient de signaler limportance de lAmérique latine au sein du Groupe de Cairns : un tiers des quatorze membres fondateurs sont des pays dAmérique latine (lArgentine, le Brésil, le Chili, la Colombie et lUruguay) et quatre autres pays les ont rejoint depuis (la Bolivie, le Costa Rica, le Guatemala et le Paraguay) [Note 4].16. Des alliances sur des questions moins spécifiques se sont également créées, telles que le « Groupe de la Paix » constitué au début des négociations du Cycle dUruguay par les représentants des pays « modérés », afin de débattre des droits de douane et des questions sy rattachant. Plus tard, alors que les négociations se heurtaient à des difficultés, le « Groupe de la Paix » a permis de trouver les compromis nécessaires pour mener à bien le Cycle dUruguay. Dans le même ordre didées, le plus récent « Comité invisible » [Note 5] a été créé afin de débattre des questions dintérêt commun en vue dadopter un front uni lors de la Première session de la Conférence ministérielle qui sest tenue à Singapour en 1996. Le groupe a entre autres débattu de la nécessité de lancer des négociations multilatérales sur de nouvelles réductions tarifaires sur les produits industriels.17. Préalablement à la Troisième session de la Conférence ministérielle à Seattle, un autre groupe, The Friends of the Round a été créé afin de débattre de lorganisation et de la gestion des négociations, en endossant le principe dun « engagement unique » tout en nexcluant pas la possibilité de résultats provisoires [Note 6]. Il est intéressant de constater que ces groupes réunissent des pays développés et des pays en développement membres de lOMC.18. Certains groupes ont été créés seulement par les pays en développement. Lors du Cycle dUruguay, le « Groupe des dix » [Note 7] sest réuni afin dexprimer ses réserves sur la négociation des « nouvelles questions » (sur les services, la propriété intellectuelle liée au commerce et les mesures liées à linvestissement). Il a été particulièrement actif. (Kumar 1993). Plus récemment, le « Groupe dintérêts communs» (Like-Minded Group) a rassemblé des pays [Note 8] souhaitant que les questions liées à la mise en uvre soient résolues avant que toute autre nouvelle négociation nait lieu. Selon eux, les pays en développement devraient bénéficier dun délai supplémentaire pour mettre en uvre certaines obligations commerciales, ainsi que dune modification des accords existants afin de pouvoir concrétiser les avantages quils avaient négociés.
III. Les pays dAmérique latine et des Caraïbes dans le GATT et le Cycle dUruguay
19. De tous les pays dAmérique latine et des Caraïbes, seuls le Brésil, le Chili et Cuba faisaient partie des 23 signataires originaux du GATT à Genève, en 1947. Par conséquent, les autres pays dAmérique latine et des Caraïbes ont accédé au GATT par deux procédures principales : celle, classique, de laccession aux négociations, ou conformément à larticle XXVI:5(c) [Note 9] du GATT. Cest par cette dernière procédure, qui permet aux territoires indépendants de devenir des parties contractantes sans négociations daccession, (à condition quils assument les mêmes obligations découlant du GATT qui sappliquaient à eux avant leur indépendance), que la plupart des pays des Caraïbes ont accédé au GATT (cf. Tableau 1 ci-après).
20. Bien que de nombreux pays dAmérique latine et des Caraïbes aient accédé relativement tard au GATT (dont deux nont jamais été parties contractantes du GATT, lEquateur et le Panama), la plupart dentre eux ont participé très activement aux négociations du Cycle dUruguay ; certains alors même que leur procédure daccession était en cours. Par conséquent, ils sont devenus des membres actifs de lOMC. En réalité, lAmérique latine se démarque au sein du groupe des pays en développement par le zèle quelle a mis à respecter ses obligations auprès de lOMC. De plus, contrairement à de nombreux autres groupes de pays en développement, les pays dAmérique latine et des Caraïbes ont joué un rôle-clé dans les négociations du Cycle dUruguay, exerçant parfois une puissante influence. Il est important de noter que cinq membres latino-américains du Groupe de Cairns ont mis fin à lexamen des négociations de Montréal à mi-parcours en 1988. De la même façon, ces pays ont provoqué la rupture des négociations agricoles et de la Conférence ministérielle à Bruxelles en 1990, où il était prévu de conclure le Cycle dUruguay. (Ricupero 1998, 21-22 ; Croome 1995, 173, 279). Toutefois, ils nont pas seulement joué un rôle « obstructionniste » [Note 10]. En qualité de groupe, les pays dAmérique latine ont contribué de façon positive aux négociations du Cycle dUruguay, et leur rôle de groupe a été particulièrement important dans les négociations sur les services.
21. Le système économique latino-américain (SELA), porté par lenthousiasme et lengagement de son Secrétaire permanent de lépoque, lAmbassadeur Carlos Pérez del Castillo, a permis une meilleure coordination parmi les pays dAmérique latine et des Caraïbes. Le SELA a apporté aux délégations de ces pays un soutien analytique et pratique, tout au long des négociations. Il a également fourni un cadre institutionnel précieux, pour les activités régionales de ses sièges situés à Caracas et à Genève grâce à son étroite collaboration avec le projet dassistance technique de la CNUCED et du PNUD pour la région mentionnée ci-après. Il est important de noter que jusquà présent, aucune autre région du monde en développement ne jouit des avantages davoir un tel cadre institutionnel pour leurs débats et leurs consultations.
22. Le mandat du SELA permettant de participer activement aux activités du GATT a été établi en 1982 [Note 11]. Au Conseil latino-américain (le Conseil de direction du SELA) de cette année-là, il a été débattu de la position des membres du SELA concernant la Réunion ministérielle des parties contractantes. Depuis cette réunion, le GATT figure en permanence à lordre du jour du Conseil latino-américain. Le SELA a toujours maintenu un contact avec le GRULAC, dont sont membres des ambassadeurs et des représentants permanents de ces pays au GATT (puis à lOMC). Ces derniers se sont réunis régulièrement pour débattre, échanger des informations et se mettre daccord sur des questions concernant la région en général, ou des pays en particulier.
23. Le SELA a établi un programme de travail qui comprend des études techniques sur des points relevant du GATT. Afin de suivre de près les évolutions au sein du GATT, le SELA a obtenu le statut dobservateur au Conseil du GATT en 1984. Par conséquent, alors que le lancement dun nouveau cycle de négociations commerciales multilatérales gagnait du terrain, le SELA a plaidé en faveur de ladoption dune stratégie mondiale, reflétant la position commune des pays dAmérique latine et des Caraïbes sur les négociations commerciales multilatérales. (Arriola 1994, 134-137). Tout en contribuant à la stratégie de négociation de la région, il a travaillé étroitement avec la CNUCED et la Commission économique des Nations Unies pour lAmérique latine (CEPALC) par lintermédiaire du Projet régional du PNUD, de la CNUCED et de la CEPALC [Note 12]. Ce projet a fourni, parmi dautres informations utiles, une évaluation qualitative des sujets dont traitait le cycle, ainsi quune évaluation quantitative de laccès aux marchés offert par la plupart des pays développés aux pays dAmérique latine et des Caraïbes [Note 13].
24. Les pays dAmérique latine et des Caraïbes ont également apporté une importante contribution dans les négociations sur les services, en proposant une Structure daccord multilatéral sur le commerce des services [Note 14], qui traitait dun grand nombre de questions importantes pour eux et pour les pays en voie de développement en général. Par exemple :
1. La participation des pays en développement aux travaux et aux négociations de lOrganisation mondiale du commerce (OMC) - et auparavant à lAccord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) - a constamment fait lobjet danalyses et de recherches [Note 1]. Il y a trois raisons à cela. Tout dabord, lOMC est la première institution multilatérale où les pays en développement peuvent promouvoir (et défendre) leurs intérêts en matière de commerce international. Deuxièmement, le nombre de pays en développement adhérant à cette organisation a continuellement augmenté. Ainsi, les pays en développement ont progressivement participé de manière plus active, non seulement aux travaux normaux de lOMC mais également aux négociations, comme le prouve le nombre de propositions qui ont été avancées lors de la préparation de la troisième Conférence ministérielle à Seattle en 1999. Troisièmement, « le poids et limportance grandissants des pays en développement dans le système commercial multilatéral » ne sont pas largement reconnus, cependant il a été admis que la Conférence de Seattle a échoué du fait que lordre du jour ne tenait pas compte de leurs intérêts [Note 2].
2. Cependant, lidée dune participation des pays en développement à lOMC en tant que groupe uni peut être trompeuse : ils sont loin de former un groupe homogène, bien quayant dimportants intérêts en commun dans de vastes domaines, tels que la réduction des crêtes tarifaires actuelles et qui perdurent, ainsi que la réduction de la progressivité des droits de douane. Cependant, ils nadoptent pas tous la même position concernant dautres questions telles quune libéralisation accrue du commerce des produits agricoles et des textiles, ou une libéralisation plus spécifique des biens tels que les produits tropicaux, le poisson et les produits de la pêche, le commerce de la chaussure et du cuir. Certains pays en développement ne considèrent même pas ces questions comme une priorité. En effet, léventail des sujets relatifs au commerce traités et négociés à lOMC va bien au-delà des problèmes daccès aux marchés. Il nest pas certain ni que les intérêts des pays en développement convergent, ni même que ces pays rencontrent les mêmes obstacles au commerce. Cest pourquoi il est utile de se concentrer sur une zone géographique particulière, et de procéder à une analyse davantage ciblée sur les modalités et lefficacité de cette participation.
3. Un autre facteur, bien quindirectement lié, souligne la pertinence dune étude de la participation des pays en développement à linstance commerciale multilatérale. Il sagit de la spectaculaire prolifération des accords commerciaux, des accords régionaux, des unions douanières et des accords bilatéraux, particulièrement au cours des dix dernières années, auxquels ont pris part des pays développés ainsi que des pays en développement. Lintensification des accords de libre-échange soulève de nombreuses questions dordre général quant à la coexistence du régionalisme et du multilatéralisme, et quant à lavenir de lOMC en tant que principal organe établissant les règles et en tant quinstitution pour les négociations commerciales multilatérales. Dans la mesure où les pays en développement sont les membres les plus nombreux de lOMC (et auparavant du GATT), il devient important de mesurer sils donnent la priorité aux accords multilatéraux ou aux accords régionaux. Il est de fait, par exemple, que les pays dAfrique, des Caraïbes et du Pacifique (pays ACP) ont privilégié les Conventions de Lomé avec l'UE (remplacées à présent par le nouvel Accord de partenariat ACP - CE, lAccord de Cotonou) sur les Accords de lOMC, ce qui a soulevé des questions importantes de compatibilité entre les accords spéciaux préférentiels et les règles de lOMC.
4. Lexemple de la participation de lAmérique latine et des Caraïbes au GATT et à lOMC en tant que groupe spécifique parmi les pays en voie de développement est assez significatif, et ce pour plusieurs raisons. Premièrement, bien que les intérêts des pays de cette région divergent à bien des égards (au niveau de leur orientation commerciale, de leur poids économique, et même de leur langue), ils partagent depuis peu une histoire commune. Ils ont effectivement tous vécu la crise de la dette des années 80 (appelée « la décennie perdue ») et après avoir suivi un modèle de substitution des importations, ils ont presque tous simultanément libéralisé leur commerce et ouvert leur économie, auparavant fermée. De même, la libéralisation du commerce est devenue un élément essentiel de leur politique économique, et ils ont adopté comme stratégie de « stabilisation » économique une approche orientée vers lexportation afin de surmonter la crise de la dette. Ainsi, pour la première fois, lAmérique latine a participé activement au GATT et au Cycle dUruguay. (Durán, 1994, 280-81). De plus, ce nest pas une coïncidence si le cycle de négociations commerciales multilatérales, aux objectifs des plus ambitieux, a été lancé dans ce pays dAmérique latine. Et cela grâce à lengagement et la personnalité du Ministre des Affaires étrangères de lépoque ayant présidé le Cycle dUruguay, Enrique Iglesias, aidé par la très grande expérience de lAmbassadeur de lUruguay à Genève, Julio Lacarte Muró.
5. Deuxièmement, cette récente histoire commune des pays dAmérique latine et des Caraïbes a donné naissance à de très nombreux accords commerciaux. Au terme du Cycle dUruguay, la Commission économique pour lAmérique latine et les Caraïbes (CEPALC) a introduit le concept de « régionalisme ouvert » [Note 3] afin dillustrer la tendance dune libéralisation unilatérale et dune intégration hémisphérique, tendance qui a rapidement pris de lenvergure parmi les pays dAmérique latine et des Caraïbes. Au niveau régional, lAssociation latino-américaine de libre-échange faisait montre depuis longtemps dune initiative dintégration. Au niveau sous-régional, des accords tels que le Marché commun du Sud (MERCOSUR), la Communauté des Caraïbes (CARICOM), la Communauté andine, et le Marché commun de lAmérique centrale ont été plus efficaces. On pourrait mentionner également lAccord de libre-échange nord-américain (ALENA), puisquil implique un pays dAmérique latine et deux membres de la Quad. Au niveau bilatéral, presque tous les pays hispanophones ont signé des accords bilatéraux de libre-échange ou impliquant une complémentarité économique ou un libre-échange et un échange préférentiel.
6. La « Zone de libre-échange des Amériques » (ZLEA) reste lune des initiatives les plus importantes au niveau de lintégration commerciale régionale. Les Chefs dEtat des 34 pays de lHémisphère ouest sont à lorigine de cet accord dont les négociations devraient se terminer dici 2005. Et, fait révélateur, la ZLEA compte parmi ses membres les partenaires commerciaux les plus importants de la région, à savoir les Etats-Unis et le Canada. En effet, Cuba, partie contractante fondatrice du GATT, ne fait pas partie de la ZLEA, alors que les Bahamas, qui ne sont pas membres de lOMC (et qui ne furent pas partie contractante du GATT), appartiennent à la ZLEA. Dans le sillage de la ZLEA, et sur initiative du Brésil, les dirigeants de douze pays dAmérique du Sud ont publié un communiqué au début du mois de septembre 2000 (le « Communiqué de Brasilia ») où ils sengageaient à fusionner deux des principaux accords commerciaux de lAmérique latine, à savoir le MERCOSUR et la Communauté andine.
7. Etant donné le nombre impressionnant daccords commerciaux dans la région, il devient particulièrement important dexaminer la participation de lAmérique latine et des Caraïbes à linstitution commerciale multilatérale par excellence, à savoir lOMC. A quel niveau se situent leurs intérêts commerciaux, au niveau régional ou multilatéral ? Quels sont les échanges entre les institutions multilatérales et régionales ? La tendance de la région est-elle au régionalisme ou au multilatéralisme ? Les pays de cette région partagent-ils les mêmes positions sur des questions-clé de lOMC, comme cela est le cas pour les accords régionaux ? Quels sont les mécanismes de coordination utilisés par la région ? Ont-ils été efficaces ? Existe-t-il des coalitions sous-régionales qui ont bien fonctionné ? Répondre à de telles questions soulèverait des problèmes dordre plus général telles que les leçons à tirer de lexpérience latino-américaine quant à linfluence que les pays en développement peuvent exercer sur les négociations commerciales multilatérales ; la coexistence des accords régionaux avec le système commercial multilatéral ; et limportance de lapprobation des règles commerciales multilatérales par les pays en développement. Nous en venons donc à nous poser la question, restée sans réponse, de savoir sil sera un jour possible de lancer un nouveau cycle de négociations commerciales multilatérales, et donc si le Cycle dUruguay a été le dernier du genre.
8. Le reste de cet article se divise de la manière suivante : la deuxième partie offre une vue densemble des diverses alliances et coalitions qui ont été actives par le passé, dans le cadre du GATT et de lOMC. La troisième partie décrit le contexte actuel de la participation de lAmérique latine et des Caraïbes à lOMC, en évaluant leur rôle dans les négociations au sein du GATT et du Cycle dUruguay. Il est important de distinguer les mécanismes utilisés à lépoque, notamment le système économique latino-américain (SELA), qui a contribué avec succès à la coordination et à léchange dinformations parmi les pays dAmérique latine et des Caraïbes.
9. La quatrième partie tente dexpliquer la convergence et la divergence des intérêts des pays dAmérique latine et des Caraïbes. De toute évidence, les pays sunissent lorsque leurs intérêts concordent, comme cela est le cas pour les membres latino-américains du Groupe de Cairns, qui prônent la libéralisation des échanges agricoles. A linverse, plusieurs pays dAmérique latine et des Caraïbes sont en désaccord, notamment dans le cas du différend concernant les bananes, qui est analysé plus tard dans larticle comme un exemple dintérêts commerciaux divergents entre différents pays de la région. De même, la participation des pays dAmérique latine et des Caraïbes à un cadre plus large de lOMC, à savoir le mécanisme de règlement des différends, où ils ont défendu leurs droits face aux pays développés et à dautres pays de la région, illustre bien limportance quaccordent ces pays à cette structure. On trouve certains exemples de convergence dintérêts en examinant la participation des pays dAmérique latine aux récentes négociations de lOMC, particulièrement lors de leur contribution à la troisième Conférence ministérielle à Seattle.
10. La cinquième partie tente danalyser la participation des pays dAmérique latine et des Caraïbes à linstance multilatérale et de la comparer à celle durant les négociations se déroulant dans le cadre de la ZLEA.
11. La sixième partie, en conclusion, souligne le fait que, même si les pays dAmérique latine et des Caraïbes ne se détournent pas de linstitution commerciale multilatérale quest lOMC, leurs priorités sont davantage dordre national. Cest pourquoi ils privilégient les accords commerciaux bilatéraux, sous-régionaux et, plus particulièrement, hémisphériques, plutôt que les règles multilatérales.
II. Groupes, alliances et coalitions : du Cycle dUruguay à lOMC
12. Il est dusage de faire référence au fait que lOMC est une organisation « conduite par ses membres ». Du fait de sa nature, sa structure et son fonctionnement, hérités de lépoque du GATT, et étant donné le fait quil sagit dune institution où se tiennent continuellement des négociations, il est dautant plus important que ses membres participent activement au développement dintérêts commerciaux nationaux. Concernant les négociations commerciales internationales, et plus particulièrement depuis le Cycle dUruguay, il est devenu monnaie courante de créer des groupes peu structurés et de former des coalitions en vue de défendre des intérêts communs. Ces coalitions ont été particulièrement présentes et influentes lors du Cycle dUruguay.13. A lOMC, des groupes informels sont créés pour échanger des informations et adopter des positions communes. Certains dentre eux sont basés sur une identité ou une proximité géographique ou « économique », comme par exemple le Groupe des pays dAmérique latine et des Caraïbes (GRULAC) composé de pays en voie de développement. Cependant, étant donné que leurs intérêts communs proviennent dune similitude géographique ou économique, les buts quils poursuivent se limitent souvent à des généralités, basées sur le plus petit dénominateur commun. Ces groupes ont tendance à être peu structurés et agissent rarement ensemble sur des questions concrètes. Une exception, toute relative, à cette tendance générale est la participation du GRULAC aux négociations du Cycle dUruguay. Lors de ce cycle, le GRULAC a été le groupe le plus cohérent parmi les groupes formés sur une base géographique, et sa participation collective en tant que groupe, ou par lintermédiaire des pays dAmérique latine membres du Groupe de Cairns, a été très remarquée lors du Cycle dUruguay.14. A cela sopposent dautres types dalliances créées par des pays liés par des structures plus formelles ou par des intérêts communs plus déterminés, qui tendent à être davantage efficaces. Citons par exemple les pays participant aux unions douanières, qui ont une base plus solide pour agir en commun. Lexemple type est lUnion européenne où les pays ont cédé leurs voix à lOMC (autrefois le GATT) à la Commission européenne. Dautres accords commerciaux régionaux, tels que le MERCOSUR ou lAssociation des Nations du Sud-Est asiatique (ANASE) coordonnent souvent leurs points de vue et parlent dune seule voix, mais ce ne sont pas leurs secrétariats qui présentent leurs positions (comme cela est le cas pour la Communauté européenne) et il est fréquent quils conservent leur propre identité nationale lorsquils exposent leurs opinions ou quils défendent leurs positions.15. Des groupes de pays se réunissent également autour dintérêts commerciaux particuliers. Lexemple le plus connu est la Quad, formée par les ministres du commerce des quatre entités commerciales les plus importantes, cest-à-dire le Canada, la Communauté européenne (représentée par sa Commission), le Japon et les Etats-Unis. Dautres groupes ont été mis en place pour débattre de causes ou de questions plus précises, dont certains, formés à lépoque du GATT, sont encore actifs et ont prouvé lefficacité dune approche collective lors des négociations. Le meilleur exemple est le Groupe de Cairns, composé de pays exportateurs de produits agricoles qui font pression pour libéraliser le commerce dans ce secteur. Dans un contexte dexamen de la participation latino-américaine au GATT / OMC, il convient de signaler limportance de lAmérique latine au sein du Groupe de Cairns : un tiers des quatorze membres fondateurs sont des pays dAmérique latine (lArgentine, le Brésil, le Chili, la Colombie et lUruguay) et quatre autres pays les ont rejoint depuis (la Bolivie, le Costa Rica, le Guatemala et le Paraguay) [Note 4].16. Des alliances sur des questions moins spécifiques se sont également créées, telles que le « Groupe de la Paix » constitué au début des négociations du Cycle dUruguay par les représentants des pays « modérés », afin de débattre des droits de douane et des questions sy rattachant. Plus tard, alors que les négociations se heurtaient à des difficultés, le « Groupe de la Paix » a permis de trouver les compromis nécessaires pour mener à bien le Cycle dUruguay. Dans le même ordre didées, le plus récent « Comité invisible » [Note 5] a été créé afin de débattre des questions dintérêt commun en vue dadopter un front uni lors de la Première session de la Conférence ministérielle qui sest tenue à Singapour en 1996. Le groupe a entre autres débattu de la nécessité de lancer des négociations multilatérales sur de nouvelles réductions tarifaires sur les produits industriels.17. Préalablement à la Troisième session de la Conférence ministérielle à Seattle, un autre groupe, The Friends of the Round a été créé afin de débattre de lorganisation et de la gestion des négociations, en endossant le principe dun « engagement unique » tout en nexcluant pas la possibilité de résultats provisoires [Note 6]. Il est intéressant de constater que ces groupes réunissent des pays développés et des pays en développement membres de lOMC.18. Certains groupes ont été créés seulement par les pays en développement. Lors du Cycle dUruguay, le « Groupe des dix » [Note 7] sest réuni afin dexprimer ses réserves sur la négociation des « nouvelles questions » (sur les services, la propriété intellectuelle liée au commerce et les mesures liées à linvestissement). Il a été particulièrement actif. (Kumar 1993). Plus récemment, le « Groupe dintérêts communs» (Like-Minded Group) a rassemblé des pays [Note 8] souhaitant que les questions liées à la mise en uvre soient résolues avant que toute autre nouvelle négociation nait lieu. Selon eux, les pays en développement devraient bénéficier dun délai supplémentaire pour mettre en uvre certaines obligations commerciales, ainsi que dune modification des accords existants afin de pouvoir concrétiser les avantages quils avaient négociés.
III. Les pays dAmérique latine et des Caraïbes dans le GATT et le Cycle dUruguay
19. De tous les pays dAmérique latine et des Caraïbes, seuls le Brésil, le Chili et Cuba faisaient partie des 23 signataires originaux du GATT à Genève, en 1947. Par conséquent, les autres pays dAmérique latine et des Caraïbes ont accédé au GATT par deux procédures principales : celle, classique, de laccession aux négociations, ou conformément à larticle XXVI:5(c) [Note 9] du GATT. Cest par cette dernière procédure, qui permet aux territoires indépendants de devenir des parties contractantes sans négociations daccession, (à condition quils assument les mêmes obligations découlant du GATT qui sappliquaient à eux avant leur indépendance), que la plupart des pays des Caraïbes ont accédé au GATT (cf. Tableau 1 ci-après).
20. Bien que de nombreux pays dAmérique latine et des Caraïbes aient accédé relativement tard au GATT (dont deux nont jamais été parties contractantes du GATT, lEquateur et le Panama), la plupart dentre eux ont participé très activement aux négociations du Cycle dUruguay ; certains alors même que leur procédure daccession était en cours. Par conséquent, ils sont devenus des membres actifs de lOMC. En réalité, lAmérique latine se démarque au sein du groupe des pays en développement par le zèle quelle a mis à respecter ses obligations auprès de lOMC. De plus, contrairement à de nombreux autres groupes de pays en développement, les pays dAmérique latine et des Caraïbes ont joué un rôle-clé dans les négociations du Cycle dUruguay, exerçant parfois une puissante influence. Il est important de noter que cinq membres latino-américains du Groupe de Cairns ont mis fin à lexamen des négociations de Montréal à mi-parcours en 1988. De la même façon, ces pays ont provoqué la rupture des négociations agricoles et de la Conférence ministérielle à Bruxelles en 1990, où il était prévu de conclure le Cycle dUruguay. (Ricupero 1998, 21-22 ; Croome 1995, 173, 279). Toutefois, ils nont pas seulement joué un rôle « obstructionniste » [Note 10]. En qualité de groupe, les pays dAmérique latine ont contribué de façon positive aux négociations du Cycle dUruguay, et leur rôle de groupe a été particulièrement important dans les négociations sur les services.
21. Le système économique latino-américain (SELA), porté par lenthousiasme et lengagement de son Secrétaire permanent de lépoque, lAmbassadeur Carlos Pérez del Castillo, a permis une meilleure coordination parmi les pays dAmérique latine et des Caraïbes. Le SELA a apporté aux délégations de ces pays un soutien analytique et pratique, tout au long des négociations. Il a également fourni un cadre institutionnel précieux, pour les activités régionales de ses sièges situés à Caracas et à Genève grâce à son étroite collaboration avec le projet dassistance technique de la CNUCED et du PNUD pour la région mentionnée ci-après. Il est important de noter que jusquà présent, aucune autre région du monde en développement ne jouit des avantages davoir un tel cadre institutionnel pour leurs débats et leurs consultations.
22. Le mandat du SELA permettant de participer activement aux activités du GATT a été établi en 1982 [Note 11]. Au Conseil latino-américain (le Conseil de direction du SELA) de cette année-là, il a été débattu de la position des membres du SELA concernant la Réunion ministérielle des parties contractantes. Depuis cette réunion, le GATT figure en permanence à lordre du jour du Conseil latino-américain. Le SELA a toujours maintenu un contact avec le GRULAC, dont sont membres des ambassadeurs et des représentants permanents de ces pays au GATT (puis à lOMC). Ces derniers se sont réunis régulièrement pour débattre, échanger des informations et se mettre daccord sur des questions concernant la région en général, ou des pays en particulier.
23. Le SELA a établi un programme de travail qui comprend des études techniques sur des points relevant du GATT. Afin de suivre de près les évolutions au sein du GATT, le SELA a obtenu le statut dobservateur au Conseil du GATT en 1984. Par conséquent, alors que le lancement dun nouveau cycle de négociations commerciales multilatérales gagnait du terrain, le SELA a plaidé en faveur de ladoption dune stratégie mondiale, reflétant la position commune des pays dAmérique latine et des Caraïbes sur les négociations commerciales multilatérales. (Arriola 1994, 134-137). Tout en contribuant à la stratégie de négociation de la région, il a travaillé étroitement avec la CNUCED et la Commission économique des Nations Unies pour lAmérique latine (CEPALC) par lintermédiaire du Projet régional du PNUD, de la CNUCED et de la CEPALC [Note 12]. Ce projet a fourni, parmi dautres informations utiles, une évaluation qualitative des sujets dont traitait le cycle, ainsi quune évaluation quantitative de laccès aux marchés offert par la plupart des pays développés aux pays dAmérique latine et des Caraïbes [Note 13].
24. Les pays dAmérique latine et des Caraïbes ont également apporté une importante contribution dans les négociations sur les services, en proposant une Structure daccord multilatéral sur le commerce des services [Note 14], qui traitait dun grand nombre de questions importantes pour eux et pour les pays en voie de développement en général. Par exemple :
25. Une autre question relative aux négociations sur les services et sadressant tout particulièrement aux pays en développement est celle du mouvement transfrontalier de la main-duvre. Les pays dAmérique latine, que ce soit individuellement ou collectivement, ont joué un rôle important à ce sujet. Le Mexique et lInde ont encouragé le mouvement des personnes physiques vers des industries du secteur tertiaire à forte intensité de main-duvre telles que le bâtiment et le tourisme. En 1990, plusieurs pays en développement (lArgentine, la Colombie, Cuba, lEgypte, lInde, le Mexique, le Pakistan et le Pérou) ont soumis une proposition dannexe sur « le mouvement des personnes comme mode de prestation ». (Stewart, 1993 b, 2374). Il est également important de noter que le Président du Groupe de négociation sur les services était lAmbassadeur colombien Felipe Jaramillo, auquel vint se joindre plus tard lAmbassadeur australien David Hawes en tant que coprésident de facto.
IV. La participation à lOMC : convergence et divergence
26. Durant presque deux décennies, les pays dAmérique latine ont maintenu des mécanismes de débats et de consultations permanentes tenant compte du fonctionnement du GATT et de lOMC, par lintermédiaire du GRULAC, et par lintermédiaire du SELA lors des négociations du Cycle dUruguay. La coordination des pays dAmérique latine et des Caraïbes était particulièrement visible lors des négociations du Cycle dUruguay, quil sagisse du Groupe latino-américain de Cairns, ou du GRULAC. Néanmoins, bien que les intérêts de la région convergent, comme nous venons de le voir, ils restent clairement en désaccord sur un grand nombre de questions liées au commerce. Le cas le plus connu est sans doute le différend concernant les bananes.
A. Le différend concernant les bananes
27. Ce cas est un bon exemple dintérêts commerciaux divergents. Ce différend de longue date a été source de désaccords non seulement entre les Etats-Unis et lUnion européenne, mais également entre les pays dAmérique latine et des Caraïbes et entre les pays dAmérique latine eux mêmes. Son origine remonte à lépoque du GATT, lorsque la Communauté européenne (plus tard lUnion européenne) a attribué un traitement plus favorable aux importations de bananes provenant dex-colonies dAfrique, du Pacifique et des Caraïbes quà celles provenant dautres régions. Au début de lannée 1993, les producteurs dAmérique latine, du Costa Rica, du Guatemala, du Nicaragua et du Vénézuela ont eu recours au mécanisme de règlement des différends du GATT pour se plaindre du régime discriminatoire appliqué aux importations de bananes par la Communauté européenne. Ce régime permettait des importations de bananes en franchise de droits provenant des pays ACP, tandis quil établissait une discrimination contre les importations de bananes provenant dAmérique latine en instituant des restrictions quantitatives. Un groupe spécial non-contraignant de règlement des différends (Bananes I) fut créé en février 1993. Ce groupe a constaté que sur les 12 pays de la Communauté européenne, 11 établissaient une discrimination injuste en faveur des producteurs des pays ACP. Les pays dAmérique latine ont alors demandé au Conseil du GATT dadopter les conclusions du groupe spécial. De toute évidence, il était impossible daboutir à un consensus sur ladoption du rapport du groupe spécial, dans la mesure où la discorde au sein du Conseil du GATT ne concernait que les exportateurs de bananes dAmérique latine et des Caraïbes. Ces derniers craignaient de perdre leur accès préférentiel aux marchés de la CE si les conclusions du panel étaient adoptées.
28. Mais une fois le marché unique établi en 1992, la CE créa lOrganisation commune du Marché pour la banane (Résolution 494), à lorigine de certaines complications. Ce nouveau régime dimportations au sein de la CE instaura des contingents tarifaires pour les importations de bananes, qui entrèrent en vigueur le 1er juillet 1993. Les pays dAmérique latine demandèrent aussi quun second groupe spécial (Bananes II) soit créé contre ce régime, affirmant que ce nouveau système de contingents tarifaires augmentait en fait le droit consolidé de la CE sur les bananes. Ce second groupe a également statué contre la CE.
29. Les débats au sein du Conseil du GATT sur le différend concernant les bananes ont opposé entre eux les pays dAmérique latine et des Caraïbes. Certaines des plus petites îles des Caraïbes ont insisté sur le fait que perdre leur accès préférentiel à la CE détruirait leur économie. Le débat sest souvent limité à des affrontements entre ces pays, afin de savoir lequel était le plus pauvre ou avait le plus besoin dexportations de bananes. Les pays des Caraïbes ont jugé injuste le soutien quapportaient les Etats-Unis aux pays dAmérique latine, dans la mesure où les Etats-Unis ne sont pas producteurs de bananes et ne faisaient que défendre leurs principaux distributeurs.
30. Lors du débat sur ladoption des conclusions du groupe spécial Bananes II, quatre pays dAmérique latine ont accepté de ne pas exiger ladoption de ces conclusions, en échange de la signature daccords indépendants avec lUnion européenne. Ils ont reçu une répartition plus favorable des contingents tarifaires de la CE. En effet, le Costa Rica, la Colombie, le Nicaragua et le Vénézuela ont signé lAccord-cadre sur les bananes qui leur octroyait 48,64 pour cent des contingents tarifaires de lUE. Ils ont employé pour cela un système de licences dexportations [Note 15] très controversé. Les pays dAmérique latine qui navaient pas signé lAccord, ainsi que les Etats-Unis, qui défendaient leurs entreprises, se sont sentis lésés par lAccord-cadre qui nobligeait pas la CE à modifier sa politique générale, considérée pourtant comme incompatible avec le GATT. Les autres pays latino-américains exportateurs de bananes, à savoir le Guatemala, lEquateur, le Panama, le Honduras et le Mexique ont tenté davancer une autre proposition. De leur côté, les Etats-Unis ont mis en garde contre lengagement des affaires au titre de larticle 301, qui devait entrer en vigueur le 1er janvier 1995 si lAccord-cadre était mis en oeuvre. Mais le Nicaragua et le Vénézuela, nayant pas produit suffisamment de bananes pour atteindre leurs quotas, nont pas mis en oeuvre lAccord-cadre et nont donc pas ressenti larticle 301 comme une menace. Au milieu de lannée 1996, les Etats-Unis ont opté pour le mécanisme de règlement des différends de lOMC au lieu dessayer de prendre des mesures unilatérales contre lUE (et contre la Colombie et le Costa Rica). En février 1996, ils ont demandé dentrer en consultation avec la CE. Quatre pays dAmérique latine, lEquateur, le Guatemala, le Honduras et le Mexique, suivi du Panama en 1998, ont fait de même.
31. Les pays dAmérique latine et des Caraïbes ont fini par être en total désaccord sur la question des bananes. Lorsque les Etats-Unis ont porté le différend contre lUE devant lorgane de règlement des différends de lOMC, les pays des Caraïbes, avec la Colombie et le Costa Rica ont pris le parti de lUE, tandis que lEquateur et les autres producteurs dAmérique latine se sont rangés du côté des Etats-Unis. Ce conflit est loin dêtre résolu. Mais pour la première fois, un petit pays comme lEquateur a pu prendre des mesures de rétorsion à lencontre dun des membres les plus importants de lOMC, pour violation des règles commerciales. De plus, il a été observé pour la première fois quil était possible de prendre des « contre-mesures de rétorsion ». Bien que cette issue positive prouve que les pays en développement peuvent réussir à défier des membres puissants de lOMC, il nen résulte pas moins que les différends entre les pays dune même région risquent de mettre longtemps à disparaître.
B. La participation des pays dAmérique latine et des Caraïbes au mécanisme de règlement des différends de lOMC
32. On peut également mesurer la participation des pays dAmérique latine et des Caraïbes au système commercial multilatéral à laune du mécanisme de règlement des différends de lOMC, qui est une des réussites majeures du Cycle dUruguay. Le célèbre différend concernant les bananes, conflit de longue-date, nest pas le meilleur exemple des intérêts et des coalitions des pays dAmérique latine et des Caraïbes. Etudier de plus près leur participation au mécanisme de règlement des différends, en tant que plaignants ou défendeurs, nous dévoile une autre facette, comme le montrent quelques exemples de plaintes récentes.
33. Plusieurs pays dAmérique latine ont été impliqués dans des conflits contre les Etats-Unis et la Communauté européenne. Pour des conflits lopposant à dimportants partenaires commerciaux (sans compter le différend concernant les bananes), lAmérique latine a gagné les affaires suivantes : le différend qui a opposé le Brésil et le Vénézuela aux Etats-Unis, à propos des normes concernant lessence nouvelle et anciennes formules ; et celui qui a opposé le Costa Rica aux Etats-Unis au sujet des restrictions à limportation de vêtements de dessous de coton et de fibres synthétiques ou artificielles.
34. Ces derniers temps, le Brésil, un des participants les plus actifs au mécanisme de règlement des différends, na pas remporté beaucoup de litiges. En tant que défendeur tout dabord, le Brésil a perdu le litige contre le Canada concernant son industrie aéronautique. En effet, la plainte du Canada, selon laquelle les subventions à lexportation accordées par le Brésil à son industrie aérienne étaient incompatibles avec lAccord sur les subventions a été validée. En tant que plaignant ensuite, le Brésil a intenté une action, quil a perdue, contre la Communauté européenne, dénonçant lincompatibilité de son régime, appliqué à certaines importations de viande de volaille, avec celui du GATT de 1994.
35. Certains pays dAmérique latine et des Caraïbes ont également porté devant lorgane de règlement des différends de lOMC des litiges contre dautres pays dAmérique latine et des Caraïbes. On peut citer la plainte du Mexique contre le Guatemala concernant une enquête antidumping sur les importations de ciment du Mexique vers Portland, ainsi que la plainte du Honduras contre le Nicaragua concernant une taxe sur les biens et services provenant du Honduras et de la Colombie ; ou encore la plainte du Costa Rica concernant une enquête antidumping menée par Trinité-et-Tobago sur les importations de pâtes provenant du Costa Rica. Des différends entre des membres du MERCOSUR ont été portés devant lOMC, lorsque le Brésil, par exemple, a porté plainte contre les mesures de sauvegarde prises par lArgentine sur les importations de cotonnades de tissage provenant du Brésil.
C. Les pays dAmérique latine et des Caraïbes et la Conférence ministérielle de Seattle
36. Il est difficile destimer à quel point le différend concernant les bananes a entravé une coopération plus étroite entre les pays dAmérique latine et des Caraïbes, surtout depuis que lOMC existe. On pourrait le faire en étudiant les propositions avancées lors dune négociation, comme cela a été le cas récemment lors de la préparation de la Conférence ministérielle de Seattle, où il a été question de lancer un cycle de négociations commerciales multilatérales.
37. Plusieurs alliances ont été créées autour de différentes questions tout au long des préparations à la Conférence ministérielle de 1999, notamment lors de sa seconde partie. Cependant, contrairement aux négociations du Cycle dUruguay, la coordination entre les pays dAmérique latine et des Caraïbes nétait pas manifeste, entres autres à cause du SELA qui na pas toujours apporté sa contribution, comme il lavait fait lors du Cycle dUruguay. De plus, à lépoque du Cycle dUruguay, de nombreux pays latino-américains découvraient le fonctionnement du système commercial multilatéral et de négociations. Pour la plupart, ils prenaient part, pour la première fois, à un cycle multilatéral et manquaient à la fois dexpérience et dinformations techniques et autres. Cest pourquoi ils ont trouvé précieux léchange constant dinformations et la coordination informelle entre eux. En revanche, aujourdhui laccès à linformation est facilité, de plus les pays sont non seulement mieux informés mais ils ont aussi gagnés en expérience et en savoir-faire, et ont à présent suffisamment confiance en eux pour adopter des positions individuelles. Ils ont donc moins besoin de se regrouper. On a pu le constater au vu du nombre de propositions individuelles faites par les pays dAmérique latine, comme par exemple le Brésil, le Chili et la Colombie en matière de mesures de sauvegarde, ou le Mexique pour les MIC, ou encore la Jamaïque pour lagriculture. On peut expliquer lindividualisme du Mexique et le fait quil ne se soit joint à aucun autre membre de lOMC en vue de présenter des propositions spécifiques, par le caractère unique de son appartenance à lALENA. Il est en effet le seul pays latino-américain à faire partie dun accord de libre-échange comprenant deux pays développés. Cependant, lindépendance du Mexique est établie de longue date et il semblerait que le fait quil ne se joigne pas aux autres pour présenter des propositions ou des déclarations communes, tienne davantage à son envie de vouloir promouvoir ses propres intérêts et converser son indépendance, quà son appartenance à lALENA.
38. On peut remarquer quen préparant la Conférence ministérielle de Seattle, le MERCOSUR sest uni avec le Chili afin de soumettre une série de propositions sur la transparence en matière daide alimentaire, de mesures spéciales de sauvegarde et des entreprises commerciales dEtat. Toutefois, la Communauté andine et le Marché commun centraméricain nont pas suivi cette voie et nont pas présenté de propositions communes. Cependant, pour ce qui est du Marché commun centraméricain, plusieurs de ses pays membres ont partagé des positions communes avec dautres pays, à la fois à lintérieur et à lextérieur de la région. Il est intéressant de mentionner lexistence du « Groupe Paradisus » qui regroupe El Salvador, le Guatemala, le Honduras, le Nicaragua, le Panama et la République dominicaine. Ces pays parlent dune même voix et sont du même avis sur des questions telles que la mise en uvre. Malgré le manque, à Seattle, dune approche « régionale », les pays dAmérique latine et des Caraïbes ont trouvé des partenaires animés des mêmes convictions, sur un grand nombre de questions, comme nous pourrons le voir daprès les propositions suivantes.
39. Lun des documents les plus complets publiés par le groupe des pays en voie de développement pour la Conférence ministérielle de Seattle a été : Questions de mise en uvre à examiner à Seattle ou avant [Note 16]. Ce document a été conjointement soumis par plusieurs pays dAmérique latine (Cuba, El Salvador, le Honduras, la République dominicaine) rejoints par lEgypte, lInde, lIndonésie, la Malaisie, le Niger, lOuganda, le Pakistan, et Sri Lanka. Cette proposition abordait de nombreuses questions, parmi lesquelles : les mesures antidumping, pour lesquelles les pays ont tenté de limiter les enquêtes les unes à la suite des autres. Pour cela, ils ont proposé quaucune enquête ne soit ouverte pendant une année à compter de la date dachèvement dune enquête antérieure ayant porté sur le même produit et abouti à la non-imposition de droits. De plus, ils ont proposé que la règle du droit moindre soit rendue obligatoire pour limposition dun droit antidumping à légard dun pays en développement. En ce qui concerne lAccord sur les subventions, le groupe souhaite que les subventions accordées par des pays en développement à des fins de développement, de diversification et de modernisation de leur industrie et de leur agriculture ne puissent donner lieu à des actions. En matière de droits compensateurs, ils proposent quils soient limités uniquement au montant équivalent à la différence entre la subvention et le niveau de minimis, pour des produits en provenance de pays en développement. Concernant lannexe VII, ils proposent daugmenter le seuil de classification des pays en développement ayant une marge de manuvre plus importante, afin dintroduire des subventions. Au sujet des crédits à lexportation, il a été proposé que ceux octroyés par les pays en développement ne soient pas considérés comme des subventions pour autant que les taux auxquels ils sont accordés soient supérieurs au LIBOR.
40. A propos de lAccord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) [Note 17], lensemble comprenait plusieurs propositions présentées en partie par de plus petits groupes de pays. Cuba, le Honduras et la République dominicaine (rejoints par lEgypte, bien que la République dominicaine se soit retirée par la suite), ont par exemple demandé que la période de transition accordée en vertu de lArticle 65.2 de lAccord sur les ADPIC soit prorogée pour les pays en développement. De même, Cuba, le Honduras, le Nicaragua et la République dominicaine rejoints par lEgypte, lInde, lIndonésie et le Pakistan ont demandé que lextension de la protection des indications géographiques [Note 18] soit élargie à des produits autres que le vin.
41. Bien quen tant que groupe, les pays dAmérique latine et des Caraïbes nont pas présenté un front commun ou uni, leur participation a été néanmoins importante, aussi bien individuellement quen petits groupes. Il est intéressant de voir que sept pays latino-américains et un pays des Caraïbes ont pris part aux débats du « Salon vert » (Green Room), certes limités et informels mais influents. (Rodríguez, 2000).
V. LAccord de libre-échange nord-américain (ALENA)
42. Comme cela fut mentionné dès le début, lintégration commerciale régionale et sous-régionale de lAmérique latine et des Caraïbes a rapidement évolué. Mais le lancement dun processus visant à constituer un accord de libre-échange dans lhémisphère ouest, lALENA, marqua un tournant décisif. Le processus fut enclenché au Sommet nord-américain à Miami en 1994. Douze groupes de travail furent créés sur (1) laccès aux marchés ; (2) les procédures douanières et les règles dorigine ; (3) linvestissement ; (4) les normes et les obstacles techniques au commerce ; (5) les mesures sanitaires et phytosanitaires (6) les subventions, les mesures antidumping et les mesures compensatoires ; (7) les plus petites économies ; (8) les marchés publics; (9) les droits de propriété intellectuelle ; (10) les services ; (11) la politique de la concurrence ; et (12) le règlement des différends.
43. Lors de la quatrième Conférence ministérielle commerciale qui sest tenue à San José, au Costa Rica en mars 1998, il a été décidé de lancer le processus de négociations la même année. lengagement à la libéralisation commerciale, similaire au lancement du Cycle dUruguay à Punta del Este en 1986, a été le suivant : il témoignait dun effort dintégration régionale des plus ambitieux et des plus vastes qui impliquait 34 pays développés et en développement. En effet, cette conférence abordait non seulement les sujets qui avaient été négociés lors du Cycle d Uruguay et qui se sont depuis étendus à lOMC, mais également de questions qui doivent être soumises à lavenir à linstance multilatérale, à savoir linvestissement, les marchés publics et la politique de concurrence.
44. Les négociations étaient structurées de la même façon que celles du Cycle dUruguay. Elles comprenaient un Comité des négociations commerciales chargé de superviser le processus de négociations et composé des vice-ministres du commerce. Les groupes de négociation ont été créés dans les domaines suivants : (1) laccès aux marchés, (présidé par la Colombie) ; (2) linvestissement, (Costa Rica) ; (3) les services (Nicaragua) ; (4) les marchés publics (Etats-Unis) ; (5) le règlement des différends (Chili) ; (6) lagriculture (Argentine) ; (7) les droits de propriété intellectuelle (Vénézuela) ; les subventions ; les mesures antidumping et compensatoires ; la politique de la concurrence (Pérou).
45. Il est encore trop tôt pour mesurer limportance du processus de lALENA dans le contexte dun nouveau cycle de négociations commerciales multilatérales lancé sous légide de lOMC. Toutefois, il est clair quil y a un fort contraste entre lampleur de lALENA avec lintérêt que portent les pays dAmérique latine et des Caraïbes à linstance commerciale multilatérale. Il est évident quils doivent encore respecter leurs engagements auprès de lOMC et quils doivent également participer à ses activités. Mais le plus important est la priorité quils donnent à laccord hémisphérique. Il y a une double explication à cela : dune part, le processus multilatéral de libéralisation commerciale semble avoir stagné, à mesure que les perspectives de lancement dun nouveau cycle samenuisaient. Dautre part, les négociations sont plus rapides lorsquelles se tiennent au sein dun petit groupe de pays (34 membres pour lALENA, contre 140 pour lOMC) partageant plus ou moins les mêmes opinions. De plus, les échanges commerciaux avec lHémisphère ouest représentent la majorité du commerce total de lAmérique latine (voir Tableau 2 sur les exportations latino-américaines intra-régionales), facilitant ainsi la libéralisation du commerce régional rendue plus logique étant donné labsence dun dynamisme multilatéral majeur.
VI. Conclusion
46. Ces vingt dernières années, la trajectoire économique empruntée par les pays dAmérique latine et des Caraïbes a ouvert la région à une libéralisation des échanges commerciaux. Ils ont été parmi les premiers pays en développement à épouser la cause du libre-échange et à sengager dans une libéralisation commerciale unilatérale extensive. Dans le même état desprit, la participation grandissante de la région aux négociations au sein du GATT et de lOMC est en accord avec leur approche économique et commerciale. Cependant, le concept de « régionalisme ouvert » a pris un élan plus que jamais dynamique et souhaité. Ainsi, la prolifération des accords commerciaux régionaux a débouché sur un projet majeur de mise au point dune zone de libre-échange nord-américaine dici à 2005, et de création dun bloc commercial sud-américain dici 2002. A lheure actuelle, la portée et la profondeur des négociations au niveau régional sont plus importantes quau niveau multilatéral. A cela sajoute la priorité donnée par les pays de la région aux négociations hémisphériques sur les négociations multilatérales. Il est aisément concevable que des négociations entre quelques pays qui ont une même identité géographique, économique et qui effectuent la plupart de leurs échanges commerciaux entre eux, accélèrent le processus dune libéralisation plus poussée. Et ce, non seulement en développant davantage ce qui a été accompli au niveau multilatéral, mais également en élargissant la profondeur et létendue des sujets traités.
47. Une grande partie des membres de lOMC sont très réticents au lancement dun nouveau cycle global de négociations. Bien que dimportantes questions relatives à la mise en uvre des accords naient pas encore été résolues, et que les avis restent divergents sur des sujets aussi épineux que linvestissement, la concurrence, les marchés publics, les normes environnementales et les droits fondamentaux du travail, il nen reste pas moins probable que la libéralisation régionale sera plus poussée et plus rapide que la libéralisation multilatérale. Cela signifie peut-être quil y aura à lavenir une libéralisation « à deux vitesses » : lune rapide parmi les partenaires régionaux et une autre plus lente au niveau multilatéral. Le Cycle dUruguay risque dêtre par conséquent le dernier cycle de négociations commerciales multilatérales. Il est possible quen ce nouveau millénaire, la solution consiste à adopter un plus grand pragmatisme en matière de libéralisation régionale, en testant les concepts au sein dune instance plus modeste qui mènera à terme à une libéralisation multilatérale plus importante.
Tableau 1
ACCESSION DES PAYS DAMÉRIQUE LATINE ET DES CARAÏBES
AU GATT / OMC
IV. La participation à lOMC : convergence et divergence
26. Durant presque deux décennies, les pays dAmérique latine ont maintenu des mécanismes de débats et de consultations permanentes tenant compte du fonctionnement du GATT et de lOMC, par lintermédiaire du GRULAC, et par lintermédiaire du SELA lors des négociations du Cycle dUruguay. La coordination des pays dAmérique latine et des Caraïbes était particulièrement visible lors des négociations du Cycle dUruguay, quil sagisse du Groupe latino-américain de Cairns, ou du GRULAC. Néanmoins, bien que les intérêts de la région convergent, comme nous venons de le voir, ils restent clairement en désaccord sur un grand nombre de questions liées au commerce. Le cas le plus connu est sans doute le différend concernant les bananes.
A. Le différend concernant les bananes
27. Ce cas est un bon exemple dintérêts commerciaux divergents. Ce différend de longue date a été source de désaccords non seulement entre les Etats-Unis et lUnion européenne, mais également entre les pays dAmérique latine et des Caraïbes et entre les pays dAmérique latine eux mêmes. Son origine remonte à lépoque du GATT, lorsque la Communauté européenne (plus tard lUnion européenne) a attribué un traitement plus favorable aux importations de bananes provenant dex-colonies dAfrique, du Pacifique et des Caraïbes quà celles provenant dautres régions. Au début de lannée 1993, les producteurs dAmérique latine, du Costa Rica, du Guatemala, du Nicaragua et du Vénézuela ont eu recours au mécanisme de règlement des différends du GATT pour se plaindre du régime discriminatoire appliqué aux importations de bananes par la Communauté européenne. Ce régime permettait des importations de bananes en franchise de droits provenant des pays ACP, tandis quil établissait une discrimination contre les importations de bananes provenant dAmérique latine en instituant des restrictions quantitatives. Un groupe spécial non-contraignant de règlement des différends (Bananes I) fut créé en février 1993. Ce groupe a constaté que sur les 12 pays de la Communauté européenne, 11 établissaient une discrimination injuste en faveur des producteurs des pays ACP. Les pays dAmérique latine ont alors demandé au Conseil du GATT dadopter les conclusions du groupe spécial. De toute évidence, il était impossible daboutir à un consensus sur ladoption du rapport du groupe spécial, dans la mesure où la discorde au sein du Conseil du GATT ne concernait que les exportateurs de bananes dAmérique latine et des Caraïbes. Ces derniers craignaient de perdre leur accès préférentiel aux marchés de la CE si les conclusions du panel étaient adoptées.
28. Mais une fois le marché unique établi en 1992, la CE créa lOrganisation commune du Marché pour la banane (Résolution 494), à lorigine de certaines complications. Ce nouveau régime dimportations au sein de la CE instaura des contingents tarifaires pour les importations de bananes, qui entrèrent en vigueur le 1er juillet 1993. Les pays dAmérique latine demandèrent aussi quun second groupe spécial (Bananes II) soit créé contre ce régime, affirmant que ce nouveau système de contingents tarifaires augmentait en fait le droit consolidé de la CE sur les bananes. Ce second groupe a également statué contre la CE.
29. Les débats au sein du Conseil du GATT sur le différend concernant les bananes ont opposé entre eux les pays dAmérique latine et des Caraïbes. Certaines des plus petites îles des Caraïbes ont insisté sur le fait que perdre leur accès préférentiel à la CE détruirait leur économie. Le débat sest souvent limité à des affrontements entre ces pays, afin de savoir lequel était le plus pauvre ou avait le plus besoin dexportations de bananes. Les pays des Caraïbes ont jugé injuste le soutien quapportaient les Etats-Unis aux pays dAmérique latine, dans la mesure où les Etats-Unis ne sont pas producteurs de bananes et ne faisaient que défendre leurs principaux distributeurs.
30. Lors du débat sur ladoption des conclusions du groupe spécial Bananes II, quatre pays dAmérique latine ont accepté de ne pas exiger ladoption de ces conclusions, en échange de la signature daccords indépendants avec lUnion européenne. Ils ont reçu une répartition plus favorable des contingents tarifaires de la CE. En effet, le Costa Rica, la Colombie, le Nicaragua et le Vénézuela ont signé lAccord-cadre sur les bananes qui leur octroyait 48,64 pour cent des contingents tarifaires de lUE. Ils ont employé pour cela un système de licences dexportations [Note 15] très controversé. Les pays dAmérique latine qui navaient pas signé lAccord, ainsi que les Etats-Unis, qui défendaient leurs entreprises, se sont sentis lésés par lAccord-cadre qui nobligeait pas la CE à modifier sa politique générale, considérée pourtant comme incompatible avec le GATT. Les autres pays latino-américains exportateurs de bananes, à savoir le Guatemala, lEquateur, le Panama, le Honduras et le Mexique ont tenté davancer une autre proposition. De leur côté, les Etats-Unis ont mis en garde contre lengagement des affaires au titre de larticle 301, qui devait entrer en vigueur le 1er janvier 1995 si lAccord-cadre était mis en oeuvre. Mais le Nicaragua et le Vénézuela, nayant pas produit suffisamment de bananes pour atteindre leurs quotas, nont pas mis en oeuvre lAccord-cadre et nont donc pas ressenti larticle 301 comme une menace. Au milieu de lannée 1996, les Etats-Unis ont opté pour le mécanisme de règlement des différends de lOMC au lieu dessayer de prendre des mesures unilatérales contre lUE (et contre la Colombie et le Costa Rica). En février 1996, ils ont demandé dentrer en consultation avec la CE. Quatre pays dAmérique latine, lEquateur, le Guatemala, le Honduras et le Mexique, suivi du Panama en 1998, ont fait de même.
31. Les pays dAmérique latine et des Caraïbes ont fini par être en total désaccord sur la question des bananes. Lorsque les Etats-Unis ont porté le différend contre lUE devant lorgane de règlement des différends de lOMC, les pays des Caraïbes, avec la Colombie et le Costa Rica ont pris le parti de lUE, tandis que lEquateur et les autres producteurs dAmérique latine se sont rangés du côté des Etats-Unis. Ce conflit est loin dêtre résolu. Mais pour la première fois, un petit pays comme lEquateur a pu prendre des mesures de rétorsion à lencontre dun des membres les plus importants de lOMC, pour violation des règles commerciales. De plus, il a été observé pour la première fois quil était possible de prendre des « contre-mesures de rétorsion ». Bien que cette issue positive prouve que les pays en développement peuvent réussir à défier des membres puissants de lOMC, il nen résulte pas moins que les différends entre les pays dune même région risquent de mettre longtemps à disparaître.
B. La participation des pays dAmérique latine et des Caraïbes au mécanisme de règlement des différends de lOMC
32. On peut également mesurer la participation des pays dAmérique latine et des Caraïbes au système commercial multilatéral à laune du mécanisme de règlement des différends de lOMC, qui est une des réussites majeures du Cycle dUruguay. Le célèbre différend concernant les bananes, conflit de longue-date, nest pas le meilleur exemple des intérêts et des coalitions des pays dAmérique latine et des Caraïbes. Etudier de plus près leur participation au mécanisme de règlement des différends, en tant que plaignants ou défendeurs, nous dévoile une autre facette, comme le montrent quelques exemples de plaintes récentes.
33. Plusieurs pays dAmérique latine ont été impliqués dans des conflits contre les Etats-Unis et la Communauté européenne. Pour des conflits lopposant à dimportants partenaires commerciaux (sans compter le différend concernant les bananes), lAmérique latine a gagné les affaires suivantes : le différend qui a opposé le Brésil et le Vénézuela aux Etats-Unis, à propos des normes concernant lessence nouvelle et anciennes formules ; et celui qui a opposé le Costa Rica aux Etats-Unis au sujet des restrictions à limportation de vêtements de dessous de coton et de fibres synthétiques ou artificielles.
34. Ces derniers temps, le Brésil, un des participants les plus actifs au mécanisme de règlement des différends, na pas remporté beaucoup de litiges. En tant que défendeur tout dabord, le Brésil a perdu le litige contre le Canada concernant son industrie aéronautique. En effet, la plainte du Canada, selon laquelle les subventions à lexportation accordées par le Brésil à son industrie aérienne étaient incompatibles avec lAccord sur les subventions a été validée. En tant que plaignant ensuite, le Brésil a intenté une action, quil a perdue, contre la Communauté européenne, dénonçant lincompatibilité de son régime, appliqué à certaines importations de viande de volaille, avec celui du GATT de 1994.
35. Certains pays dAmérique latine et des Caraïbes ont également porté devant lorgane de règlement des différends de lOMC des litiges contre dautres pays dAmérique latine et des Caraïbes. On peut citer la plainte du Mexique contre le Guatemala concernant une enquête antidumping sur les importations de ciment du Mexique vers Portland, ainsi que la plainte du Honduras contre le Nicaragua concernant une taxe sur les biens et services provenant du Honduras et de la Colombie ; ou encore la plainte du Costa Rica concernant une enquête antidumping menée par Trinité-et-Tobago sur les importations de pâtes provenant du Costa Rica. Des différends entre des membres du MERCOSUR ont été portés devant lOMC, lorsque le Brésil, par exemple, a porté plainte contre les mesures de sauvegarde prises par lArgentine sur les importations de cotonnades de tissage provenant du Brésil.
C. Les pays dAmérique latine et des Caraïbes et la Conférence ministérielle de Seattle
36. Il est difficile destimer à quel point le différend concernant les bananes a entravé une coopération plus étroite entre les pays dAmérique latine et des Caraïbes, surtout depuis que lOMC existe. On pourrait le faire en étudiant les propositions avancées lors dune négociation, comme cela a été le cas récemment lors de la préparation de la Conférence ministérielle de Seattle, où il a été question de lancer un cycle de négociations commerciales multilatérales.
37. Plusieurs alliances ont été créées autour de différentes questions tout au long des préparations à la Conférence ministérielle de 1999, notamment lors de sa seconde partie. Cependant, contrairement aux négociations du Cycle dUruguay, la coordination entre les pays dAmérique latine et des Caraïbes nétait pas manifeste, entres autres à cause du SELA qui na pas toujours apporté sa contribution, comme il lavait fait lors du Cycle dUruguay. De plus, à lépoque du Cycle dUruguay, de nombreux pays latino-américains découvraient le fonctionnement du système commercial multilatéral et de négociations. Pour la plupart, ils prenaient part, pour la première fois, à un cycle multilatéral et manquaient à la fois dexpérience et dinformations techniques et autres. Cest pourquoi ils ont trouvé précieux léchange constant dinformations et la coordination informelle entre eux. En revanche, aujourdhui laccès à linformation est facilité, de plus les pays sont non seulement mieux informés mais ils ont aussi gagnés en expérience et en savoir-faire, et ont à présent suffisamment confiance en eux pour adopter des positions individuelles. Ils ont donc moins besoin de se regrouper. On a pu le constater au vu du nombre de propositions individuelles faites par les pays dAmérique latine, comme par exemple le Brésil, le Chili et la Colombie en matière de mesures de sauvegarde, ou le Mexique pour les MIC, ou encore la Jamaïque pour lagriculture. On peut expliquer lindividualisme du Mexique et le fait quil ne se soit joint à aucun autre membre de lOMC en vue de présenter des propositions spécifiques, par le caractère unique de son appartenance à lALENA. Il est en effet le seul pays latino-américain à faire partie dun accord de libre-échange comprenant deux pays développés. Cependant, lindépendance du Mexique est établie de longue date et il semblerait que le fait quil ne se joigne pas aux autres pour présenter des propositions ou des déclarations communes, tienne davantage à son envie de vouloir promouvoir ses propres intérêts et converser son indépendance, quà son appartenance à lALENA.
38. On peut remarquer quen préparant la Conférence ministérielle de Seattle, le MERCOSUR sest uni avec le Chili afin de soumettre une série de propositions sur la transparence en matière daide alimentaire, de mesures spéciales de sauvegarde et des entreprises commerciales dEtat. Toutefois, la Communauté andine et le Marché commun centraméricain nont pas suivi cette voie et nont pas présenté de propositions communes. Cependant, pour ce qui est du Marché commun centraméricain, plusieurs de ses pays membres ont partagé des positions communes avec dautres pays, à la fois à lintérieur et à lextérieur de la région. Il est intéressant de mentionner lexistence du « Groupe Paradisus » qui regroupe El Salvador, le Guatemala, le Honduras, le Nicaragua, le Panama et la République dominicaine. Ces pays parlent dune même voix et sont du même avis sur des questions telles que la mise en uvre. Malgré le manque, à Seattle, dune approche « régionale », les pays dAmérique latine et des Caraïbes ont trouvé des partenaires animés des mêmes convictions, sur un grand nombre de questions, comme nous pourrons le voir daprès les propositions suivantes.
39. Lun des documents les plus complets publiés par le groupe des pays en voie de développement pour la Conférence ministérielle de Seattle a été : Questions de mise en uvre à examiner à Seattle ou avant [Note 16]. Ce document a été conjointement soumis par plusieurs pays dAmérique latine (Cuba, El Salvador, le Honduras, la République dominicaine) rejoints par lEgypte, lInde, lIndonésie, la Malaisie, le Niger, lOuganda, le Pakistan, et Sri Lanka. Cette proposition abordait de nombreuses questions, parmi lesquelles : les mesures antidumping, pour lesquelles les pays ont tenté de limiter les enquêtes les unes à la suite des autres. Pour cela, ils ont proposé quaucune enquête ne soit ouverte pendant une année à compter de la date dachèvement dune enquête antérieure ayant porté sur le même produit et abouti à la non-imposition de droits. De plus, ils ont proposé que la règle du droit moindre soit rendue obligatoire pour limposition dun droit antidumping à légard dun pays en développement. En ce qui concerne lAccord sur les subventions, le groupe souhaite que les subventions accordées par des pays en développement à des fins de développement, de diversification et de modernisation de leur industrie et de leur agriculture ne puissent donner lieu à des actions. En matière de droits compensateurs, ils proposent quils soient limités uniquement au montant équivalent à la différence entre la subvention et le niveau de minimis, pour des produits en provenance de pays en développement. Concernant lannexe VII, ils proposent daugmenter le seuil de classification des pays en développement ayant une marge de manuvre plus importante, afin dintroduire des subventions. Au sujet des crédits à lexportation, il a été proposé que ceux octroyés par les pays en développement ne soient pas considérés comme des subventions pour autant que les taux auxquels ils sont accordés soient supérieurs au LIBOR.
40. A propos de lAccord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) [Note 17], lensemble comprenait plusieurs propositions présentées en partie par de plus petits groupes de pays. Cuba, le Honduras et la République dominicaine (rejoints par lEgypte, bien que la République dominicaine se soit retirée par la suite), ont par exemple demandé que la période de transition accordée en vertu de lArticle 65.2 de lAccord sur les ADPIC soit prorogée pour les pays en développement. De même, Cuba, le Honduras, le Nicaragua et la République dominicaine rejoints par lEgypte, lInde, lIndonésie et le Pakistan ont demandé que lextension de la protection des indications géographiques [Note 18] soit élargie à des produits autres que le vin.
41. Bien quen tant que groupe, les pays dAmérique latine et des Caraïbes nont pas présenté un front commun ou uni, leur participation a été néanmoins importante, aussi bien individuellement quen petits groupes. Il est intéressant de voir que sept pays latino-américains et un pays des Caraïbes ont pris part aux débats du « Salon vert » (Green Room), certes limités et informels mais influents. (Rodríguez, 2000).
V. LAccord de libre-échange nord-américain (ALENA)
42. Comme cela fut mentionné dès le début, lintégration commerciale régionale et sous-régionale de lAmérique latine et des Caraïbes a rapidement évolué. Mais le lancement dun processus visant à constituer un accord de libre-échange dans lhémisphère ouest, lALENA, marqua un tournant décisif. Le processus fut enclenché au Sommet nord-américain à Miami en 1994. Douze groupes de travail furent créés sur (1) laccès aux marchés ; (2) les procédures douanières et les règles dorigine ; (3) linvestissement ; (4) les normes et les obstacles techniques au commerce ; (5) les mesures sanitaires et phytosanitaires (6) les subventions, les mesures antidumping et les mesures compensatoires ; (7) les plus petites économies ; (8) les marchés publics; (9) les droits de propriété intellectuelle ; (10) les services ; (11) la politique de la concurrence ; et (12) le règlement des différends.
43. Lors de la quatrième Conférence ministérielle commerciale qui sest tenue à San José, au Costa Rica en mars 1998, il a été décidé de lancer le processus de négociations la même année. lengagement à la libéralisation commerciale, similaire au lancement du Cycle dUruguay à Punta del Este en 1986, a été le suivant : il témoignait dun effort dintégration régionale des plus ambitieux et des plus vastes qui impliquait 34 pays développés et en développement. En effet, cette conférence abordait non seulement les sujets qui avaient été négociés lors du Cycle d Uruguay et qui se sont depuis étendus à lOMC, mais également de questions qui doivent être soumises à lavenir à linstance multilatérale, à savoir linvestissement, les marchés publics et la politique de concurrence.
44. Les négociations étaient structurées de la même façon que celles du Cycle dUruguay. Elles comprenaient un Comité des négociations commerciales chargé de superviser le processus de négociations et composé des vice-ministres du commerce. Les groupes de négociation ont été créés dans les domaines suivants : (1) laccès aux marchés, (présidé par la Colombie) ; (2) linvestissement, (Costa Rica) ; (3) les services (Nicaragua) ; (4) les marchés publics (Etats-Unis) ; (5) le règlement des différends (Chili) ; (6) lagriculture (Argentine) ; (7) les droits de propriété intellectuelle (Vénézuela) ; les subventions ; les mesures antidumping et compensatoires ; la politique de la concurrence (Pérou).
45. Il est encore trop tôt pour mesurer limportance du processus de lALENA dans le contexte dun nouveau cycle de négociations commerciales multilatérales lancé sous légide de lOMC. Toutefois, il est clair quil y a un fort contraste entre lampleur de lALENA avec lintérêt que portent les pays dAmérique latine et des Caraïbes à linstance commerciale multilatérale. Il est évident quils doivent encore respecter leurs engagements auprès de lOMC et quils doivent également participer à ses activités. Mais le plus important est la priorité quils donnent à laccord hémisphérique. Il y a une double explication à cela : dune part, le processus multilatéral de libéralisation commerciale semble avoir stagné, à mesure que les perspectives de lancement dun nouveau cycle samenuisaient. Dautre part, les négociations sont plus rapides lorsquelles se tiennent au sein dun petit groupe de pays (34 membres pour lALENA, contre 140 pour lOMC) partageant plus ou moins les mêmes opinions. De plus, les échanges commerciaux avec lHémisphère ouest représentent la majorité du commerce total de lAmérique latine (voir Tableau 2 sur les exportations latino-américaines intra-régionales), facilitant ainsi la libéralisation du commerce régional rendue plus logique étant donné labsence dun dynamisme multilatéral majeur.
VI. Conclusion
46. Ces vingt dernières années, la trajectoire économique empruntée par les pays dAmérique latine et des Caraïbes a ouvert la région à une libéralisation des échanges commerciaux. Ils ont été parmi les premiers pays en développement à épouser la cause du libre-échange et à sengager dans une libéralisation commerciale unilatérale extensive. Dans le même état desprit, la participation grandissante de la région aux négociations au sein du GATT et de lOMC est en accord avec leur approche économique et commerciale. Cependant, le concept de « régionalisme ouvert » a pris un élan plus que jamais dynamique et souhaité. Ainsi, la prolifération des accords commerciaux régionaux a débouché sur un projet majeur de mise au point dune zone de libre-échange nord-américaine dici à 2005, et de création dun bloc commercial sud-américain dici 2002. A lheure actuelle, la portée et la profondeur des négociations au niveau régional sont plus importantes quau niveau multilatéral. A cela sajoute la priorité donnée par les pays de la région aux négociations hémisphériques sur les négociations multilatérales. Il est aisément concevable que des négociations entre quelques pays qui ont une même identité géographique, économique et qui effectuent la plupart de leurs échanges commerciaux entre eux, accélèrent le processus dune libéralisation plus poussée. Et ce, non seulement en développant davantage ce qui a été accompli au niveau multilatéral, mais également en élargissant la profondeur et létendue des sujets traités.
47. Une grande partie des membres de lOMC sont très réticents au lancement dun nouveau cycle global de négociations. Bien que dimportantes questions relatives à la mise en uvre des accords naient pas encore été résolues, et que les avis restent divergents sur des sujets aussi épineux que linvestissement, la concurrence, les marchés publics, les normes environnementales et les droits fondamentaux du travail, il nen reste pas moins probable que la libéralisation régionale sera plus poussée et plus rapide que la libéralisation multilatérale. Cela signifie peut-être quil y aura à lavenir une libéralisation « à deux vitesses » : lune rapide parmi les partenaires régionaux et une autre plus lente au niveau multilatéral. Le Cycle dUruguay risque dêtre par conséquent le dernier cycle de négociations commerciales multilatérales. Il est possible quen ce nouveau millénaire, la solution consiste à adopter un plus grand pragmatisme en matière de libéralisation régionale, en testant les concepts au sein dune instance plus modeste qui mènera à terme à une libéralisation multilatérale plus importante.
Tableau 1
ACCESSION DES PAYS DAMÉRIQUE LATINE ET DES CARAÏBES
AU GATT / OMC
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Tableau 1
EXPORTATION LATINO-AMÉRICAINE PAR DESTINATION
1998
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Milliards de dollars et pourcentage |
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Source : OMC, Rapport annuel 1999, Statistiques du commerce international
Références
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