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Note de synthèse

Décembre 1999

Échec de la Conférence Ministérielle de Seattle

1. La troisième Conférence ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce de Seattle s'est achevée le vendredi 3 décembre dernier sur un échec. Il n'en est dès lors sorti aucune Déclaration ministérielle et il n'y a pas été lancé, comme cela était prévu, un nouveau cycle de négociations commerciales. Il revient maintenant aux Ministres et aux diplomates, comme au Secrétariat de l'organisation, d'analyser comment ils entendent relancer le processus de négociations commerciales qui a échoué à Seattle.

2. L'échec d'une Conférence ministérielle portant sur des questions commerciales n'est pas commune même si cela s'était toutefois déjà produit par le passé. Dans le cas de Seattle, il convient aujourd'hui surtout de comprendre les raisons de l'échec de la négociation.

3. Parmi les éléments clés qui expliquent cet échec, il convient de relever des éléments systémiques et organisationnels: Les longues négociations relatives à la désignation du nouveau Secrétaire général de l'OMC ont détourné les délégués présents à Genève de leur travail de préparation de la Conférence. Du reste, l'absence d'un Directeur général durant cette période cruciale s'est faite sentir sur le rôle d'impulsion que se doit de jouer le Secrétariat dans les phases de pré-conférence ministérielle. De plus, on a pu relever un manque de volonté politique claire de la part des Membres influents de l'organisation durant cette période. Dans ces conditions, les documents préparatoires soumis aux Ministres à Seattle accusaient beaucoup de lacunes et laissaient ouverts à la discussion un nombre bien trop élevé de points.

4. Il apparaît de plus en plus évident que les procédures de prises de décisions élaborées sous le régime du GATT et prévues pour fonctionner selon la règle du consensus entre 30 pays membres ne fonctionnent plus de manière satisfaisante aujourd'hui avec 135 parties à la discussion. Il en est notamment ainsi compte tenu du rôle croissant que jouent désormais les nombreux pays en développement Membres de l'OMC. A Seattle par exemple, souvent pour des raisons de manque d'expertise, mais également pour de simples raisons logistiques, les pays en développement ont trop souvent été exclus de certaines grandes discussions qui se menaient en coulisse entre un nombre restreint de participants. Il est toutefois à relever ici la participation active des pays en développement dans la phase préparatoire de la Conférence ministérielle qui contraste singulièrement avec le rôle pour le moins effacé auquel ils étaient habitués dans les précédentes négociations où un nombre très limité de PED disposaient de l'expertise et de l'infrastructure adéquate pour faire entendre leur voix et défendre leurs intérêts nationaux.

5. De fait, il convient d'insister sur le fait que la participation des PED dans la phase préparatoire de la Conférence ministérielle de Seattle a été sans précédent, comme en témoignent les nombreuses propositions et communications qu'ils ont formulées dans tous les principaux domaines de négociation couverts par l'OMC. Dès lors, le déroulement des négociations à Seattle - décrit comme "médiéval" par le principal négociateur d'un groupe de pays développés - ne pouvait en aucun cas répondre aux aspirations des nombreux PED qui se sont sentis proprement marginalisés du processus de prise de décision durant la conférence. Ils ne se sont d'ailleurs pas privés de le faire savoir publiquement par des déclarations formelles issues du Groupe africain ou CARICOM (Caraïbes) faisant état de leur "déception" et de leur "désaccord" quant à la manière dont les négociations étaient menées, comme par rapport au manque flagrant de transparence de l'ensemble du processus. Ainsi, et avant qu'une nouvelle Conférence ne soit considérée, convient-il de mener une réflexion approfondie sur les divers moyens à mettre en Suvre de façon à ce que les PED puissent participer pleinement aux négociations sans que l'ensemble du processus ne perde en efficacité.

6. Un autre élément qu'il convient de relever dans une tentative d'explication de l'échec de la Conférence de Seattle est celui de l'émergence récente de groupes de pression et d'ONG prétendant que le système commercial multilatéral est responsable de l'impuissance des gouvernements nationaux à réglementer un quelconque contrôle de la santé de leurs administrés, de leurs travailleurs, de leurs consommateurs ou encore de l'environnement. En outre, la publicité croissante dont bénéficient ces groupes de pression rendent la position des négociateurs plus délicate en leur imposant des pressions extérieures qu'ils ne peuvent désormais plus ignorer. Par exemple, le lien qui a été fait à Seattle entre la protection des travailleurs ou celle de l'environnement et les sanctions commerciales prévues par l'OMC a rendu l'ensemble de l'exercice plus difficile et surtout source de divergences entre les délégations. A l'avenir, il sera éminemment important de définir clairement les rôles respectifs des ONG, des gouvernements et du Secrétariat de l'OMC dans le cadre des négociations commerciales multilatérales.

7. Enfin, des éléments circonstanciels sont également à retenir dans une tentative d'explication de l'échec de la Conférence de Seattle. Par exemple, le fait qu'elle se soit tenue aux États Unis où les arguments de politique interne deviennent de plus en plus importants à l'approche des élections présidentielles n'a fait que compliquer encore une situation d'ores et déjà complexe. Un exemple en a été l'insistance américaine d'inclure dans la Déclaration finale - pour des raisons de politique interne - le sujet controversé des normes fondamentales du travail dont les pays en développement ne voulaient en aucun cas. De même, l'intransigeance affichée de la plupart des négociateurs lors des travaux préparatoires de Genève ne présageait rien de bon quant au dénouement des négociations de la Conférence. En effet, l'opportunité de lancer un nouveau cycle de négociations à Seattle ne faisait pas nécessairement l'unanimité entre les partenaires.

8. Sur le plan de la structure de la conférence, cette dernière comprenait les organes suivants:

· Session plénière

· Comité plénier

· Groupes de travail ministériels

- Agriculture, Président: M. G. Yeo, Ministre du commerce et de l'industrie, Singapour.

- Mise en Suvre et règles, Président: M. P.S. Pettigrew, Ministre du commerce extérieur, Canada.

- Accès aux marchés, Président: M. M. Malie, Ministre du commerce et de l'industrie, Lesotho.

- Thèmes de Singapour, Président: M. A. Lockwood Smith, Ministre du commerce extérieur, Nouvelle Zélande.

- Questions systémiques, Président: M.J.G.Valdes, Ministre des relations extérieures, Chili; Vice-préssident: M. Anupkumar, Ministre du commerce, Fiji.

9. Quant à la substance des négociations elles-mêmes, outre le fait qu'elle avait été fort mal déterminée à Genève, il est très vite apparu que plusieurs délégations importantes entendaient à Seattle négocier directement les résultats du nouveau cycle plutôt que ses paramètres. En outre, dans leur majorité, il est apparu que les PED étaient le plus souvent en situation de demandeurs, ce qui n'est pas surprenant lorsque l'on sait le peu de bénéfices qu'ils ont retiré de l'exercice précédent. Enfin, un élément important a été celui de l'approche conflictuelle entre les mandats de négociation des États Unis d'une part et de l'Union européenne d'autre part. Tandis que les premiers entendaient réduire au maximum le champ des nouvelles négociations, la seconde était partisane d'une négociation englobant un nombre plus élevé de sujets de façon à pouvoir proposer des marchandages plus complexes en compensation de sa politique agricole.

10. La différence d'approche entre les États Unis et l'Union européenne est également perceptible dans ce qui est de l'attitude à adopter à l'avenir face à l'échec de Seattle et au gel des négociations. Tandis que les États Unis considèrent que tous les textes établis à ce jour (et particulièrement la dernière version provisoire de la Déclaration ministérielle dite version "3/12-05.45") sont encore sujets à négociation en l'état, l'Union européenne quant à elle est d'avis qu'il s'agit désormais de recommencer l'ensemble du processus de zéro et sur de nouvelles bases. Il y a pourtant fort à parier qu'en dépit de l'avis de l'Union européenne, le document "3/12-05.45" constituera bien la base des nouvelles négociations lorsque celles-ci reprendront. Dès lors que ce texte ne constitue en aucun cas un accord définitif, il serait alors vain de vouloir le commenter en détail. Du point de vue des pays en développement toutefois, les diverses observations suivantes peuvent d'ores et déjà en être tirées:

a. Dans le préambule tout d'abord, engagement est pris de mettre en Suvre tous les aspects du Traitement spécial et différencié inclus dans les divers accords sectoriels de l'OMC. Il sera dès lors important, le moment venu, que cet engagement se traduise par des dispositions juridiques contraignants en faveur des pays en développement et des PMA. Cet aspect du Traitement spécial et différencié fera toutefois l'objet des négociations substantielles du prochain cycle et non de celles devant mener à une Déclaration ministérielle.

b. Sur le front de la mise en Suvre des accords et des décisions, le texte 3/12-05.45 comprend une liste exhaustive de "thèmes d'intérêt" accompagnée de la volonté de mettre en place un mécanisme spécial à l'attention du Conseil général visant à ce qu'il fasse tout son possible pour s'en saisir au plus tard dans un délais de un an. En outre, le texte comprend encore, en annexes, toute une série de "décisions préliminaires" qui pour l'heure ne peuvent encore être considérées que comme des déclarations de bonnes intentions. Pour ne citer qu'un seul exemple, on y trouve exprimée la volonté "d'examiner avec un soin tout particulier la mise en place d'un système d'examen des pratiques anti-dumping".

c. En relation avec les aspects organisationnels du prochain cycle de négociations, le texte ne prévoit rien de particulièrement nouveau. Il réaffirme le principe de "l'engagement unique" (single undertaking). Toutefois, et comme nous l'avons relevé ci-dessus, il convient d'insister encore sur le fait que le Traitement spécial et différencié en faveur des PED devra faire l'objet de dispositions juridiques contraignantes.

d. L'aspect fort important pour les PED de la coopération technique apportée par l'OMC est relativisé dans le texte par des expressions telles que "dans la limite des ressources humaines et financières disponibles" et ce, bien qu'il y soit également fait mention du nombre important de pays membres de l'organisation ne disposant pas de mission permanente à Genève. Ceci est certes à déplorer dès lors que comme chacun sait, l'efficacité de l'assistance technique délivrée par l'OMC dépend grandement des ressources qui lui sont consacrées. De façon plus générale toutefois, l'élément de base à considérer ici serait celui d'une réévaluation en profondeur de l'ensemble du programme d'assistance technique, tant sur le plan de son contenu que sur celui de la façon dont elle est délivrée.

e. Du fait de la prise en compte de certains types de produits particulièrement importants pour les pays développés (dont notamment les produits textiles), il n'est fait aucune mention dans le texte des conditions spéciales d'accès aux marchés pour les PED. Tout comme il n'y est fait aucune mention de l'initiative dite ATL (Accelerated Tariff Liberalisation Initiative) visant à réduire les droits de douane encore existants à un rythme plus soutenu. Cela est essentiellement dû aux divergences entre pays développés de l'organisation quant à l'étendue et au champ d'application de cette initiative.

f. Bien que discrètement, il est cependant fait mention dans le texte provisoire de Déclaration ministérielle des questions environnementales. Notamment, il y est déclaré que le Comité du commerce et de l'environnement ainsi que le Comité du commerce et du développement devront "élaborer un forum destiné à identifier et à débattre" des aspects des négociations qui sont liés à l'environnement et au développement.

g. De façon surprenante, la relation entre le commerce international et les normes fondamentales du travail ne figurent absolument pas dans le texte.

11. La prochaine étape désormais sera celle de déterminer quelles doivent être les modalités pour continuer de l'avant. Il s'agira particulièrement de décider s'il est opportun de convoquer une nouvelle Conférence ministérielle. Avant cela, le Directeur général de l'OMC devra faire un examen approfondi des questions systémiques, en particulier de celle relative à l'implication de tous les Membres de l'organisation aux processus de négociation. Il s'agira aussi pour lui de trouver des modalités propres à rendre le processus de décision plus transparent. Il sera ensuite du ressort des délégués de chaque pays Membre, à Genève, d'évaluer la situation et de prendre les décisions qui s'imposent au travers du Conseil général de l'OMC. Quant au calendrier des futures négociations, il dépendra de la volonté politique qui sera engagée dans le sens d'un bouclement des discussions; en ce sens, les élections présidentielles américaines de novembre 2000 constitueront un des éléments déterminants.

12. Dans le même temps, les travaux sur le programme incorporé reprendront en janvier 2000 au siège de l'organisation à Genève. Plus précisément, ces travaux comprendront des discussions relatives à l'Accord sur l'agriculture, à l'AGCS et à l'Accord sur les ADPIC. Toutefois, étant donné le fait qu'aucun accord n'a pu être trouvé à Seattle et que dès lors les délégués ne disposeront d'aucune ligne de négociation claire, il est à craindre que ces discussions ne soient guère efficaces.

13. En définitive, l'échec de la Conférence ministérielle de Seattle aura montré que les Membres de l'OMC ne sont pas prêts à lancer un nouveau cycle de négociations commerciales pour l'instant. L'OMC est d'ailleurs sortie affaiblie de cet échec. Il est maintenant de la responsabilité de chaque Membre de l'organisation de tout mettre en Suvre pour sauvegarder un système qui, quoi qu'on en dise, est encore dans l'intérêt de la communauté internationale dans son ensemble et des pays en développement en particulier. Dans cette entreprise, le Secrétariat de l'OMC et son Directeur général doivent pouvoir compter sur le soutien inconditionnel de l'ensemble des États Membres de l'OMC.

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